Imaginez un déjeuner débutant à 13 heures et se terminant à 19 heures. Quels sont les mots qui viennent à l’esprit ? Gargantuesque, rabelaisien, démesuré, épuisant… Fascinant!
Créée en 1924, la Paulée de Meursault fait partie des « Trois Glorieuses » qui sont célébrées chaque troisième week-end de novembre en Bourgogne (le samedi, dîner au château du Clos Vougeot, le dimanche vente aux enchères des Hospices de Beaune suivi du « bastion », et le lundi, déjeuner au château de Meursault).
Pêché de gourmandise pour les uns, festin des Dieux pour les autres, le déjeuner de la Paulée est une aventure à laquelle j’estime avoir eu l’honneur d’être conviée. Elle fait sans conteste partie de ces événements dont il faut avoir fait l’expérience au moins une fois dans sa vie.
725 invités, venus du monde entier, du Japon, des îles vierges, de Chine, de Russie, de Hollande, d’Australie, de Grande-Bretagne, des Etats-Unis… tous réunis dans une même communion, une même adoration pour le vin de Bourgogne.
Avant le déjeuner, nous sommes invités à visiter les caves du château de Meursault, propriété de Monique et Jacques Boisseaux, dont la construction remonte au 11ème siècle. Les plus anciennes furent creusées par les Moines de Cîteaux, et elles peuvent contenir jusqu'à 700 000 bouteilles et plus de 2 000 fûts.
Un bruit de fourchette sur un verre demande le silence afin de lancer les agapes. Philippe Ballot, président de la Paulée, interviendra après l’entrée pour présenter le lauréat du Prix de la Paulée 2009, — qui est aussi le président de séance —, Gérard Oberlé. Dans son discours, l’écrivain, qui a publié à la rentrée Les mémoires de Marc-Antoine Muret (Grasset), parle d’un double miracle : « Après avoir été enterré par la médecine en juin, me voilà à nouveau debout depuis un mois, revenu d’un endroit où d’ordinaire personne ne revient. Le second miracle, c’est d’être aujourd’hui parmi vous. »
Applaudissements à tout rompre. L’auteur d’un Itinéraire spiritueux, n’a plus le même profil. Le bon vivant a laissé des plumes dans sa lutte contre la maladie et semble soudain fragile. Lorsqu’il monte sur scène, il accepte comme avec regret les mains qui se tendent, mais une fois l’estrade enjambée, il se tient droit, fier et heureux face au public, un micro lui chatouillant le nez, sans feuille ni autre béquille que sa seule mémoire. Son amour pour les vins est intact et éternel, comme l’est celui pour les livres. « Une cave est comme une bibliothèque, il faut en prendre soin, les vins prennent la poussière et craignent les maladies qui les rongent comme les livres ». Evoquant la vente aux enchères de la veille aux Hospices de Beaune, il poursuit : « La mise en vente des Millésimes, c’est la rentrée littéraire des vignerons ».
J’attaque seulement mon deuxième plat que j’ai déjà goûté mon 18ème verre de vin blanc. Le rituel est suivi par tous les convives : une gorgée et l’on vide son verre dans un des seaux placés judicieusement sur les tables. J'avoue préférer et privilégier les blancs! Je retiendrai parmi cette valse de nectars et du bon goût, un Meursault Genevrières, Premier Cru 2003, un Meursault Poruzots Premier Cru 1996, un Batard-Montrachet, Grand Cru 1998, et un Meursault Charmes, Premier Cru 2003. Un dernier encore : un Chevalier Montrachet Grand Cru 2002.
La tête me tourne à cause des vapeurs d’alcool mais aussi de la chaleur tiède et humide qui règne dans la salle. Les serveurs rivalisent d’habileté pour se glisser entre les tables et déposer des assiettes fumantes. Pour rajouter à la difficulté, les viticulteurs eux-mêmes servent leurs vins, suivis par les (nombreux) collectionneurs qui, jouant le jeu, ont apporté quantité de bouteilles de leurs caves pour les partager avec leurs amis. Tous se lèvent, se rassoient, changent de place, passent et repassent dans les allées, dans un tourbillon incessant.
A 16 heures, nous n’avons pas encore attaqué la viande. A peine, puis-je sentir le fumet de la volaille aux morilles. Je note tous les vins qui sont versés dans mes deux verres, cela va si vite que je parviens difficilement à garder le rythme. Un vin toujours plus merveilleux, plus ancien, plus prestigieux et incroyable remplace le précédent. Le dernier est-il le meilleur ? Pour s’en assurer, une seule façon, tester, humer, boire. Je respire, j’avale des litres d’eau pour atténuer les effets de l’alcool en pensant déjà au retour qui commence à être largement compromis. Je me lève et parviens à me glisser dehors, où je découvre que je suis loin d’être la seule à avoir eu cette idée. Des hommes sortent de derrière les arbres, heureux d’avoir pu se soulager sans plus attendre, pour les femmes, une longue file d’attente s’est déjà formée, m’indiquant l’endroit que je cherchais.
A 17h45, des plateaux de fromages apparaissent sur des bras tendus au-dessus des têtes. Ce sera mon dernier plat, le train m’attend (ou plus exactement ne m’attendra pas !). Je file à l’anglaise, mon british voisin de table m’a devancée avec son épouse, ils rentrent sur Londres, moi sur Paris. Des alcootests décorent tous les pare-brises des voitures. Je m’en tire avec le minimum, honorable.
Pour vous mettre l’eau à la bouche, je ne résiste pas au plaisir de vous transmettre le menu :
Salade d’Ecrevisses
Chiboust de Crustacés, Salpicon de Foie Gras
Feuilleté de Saint-Jacques et Langoustines, sauce Murisaltienne
Fondue de Poireaux Vanillés
Suprême de Volaille « Patte Noire » troussé aux Morilles
Conchiglie farcis à la Ricotta et Epinard frais
Médaillon d’Epaule d’Agneau cuite Sept Heures
Jus court, Pommes confites à la Graisse d’Oie
Les Fromages affinés de notre Région
Pain aux Noix et Noisettes
Charlotte aux Poires et Pain d’Epices
Chocolat Chaud et Glace Pistache
Café Noir&Chaud
(réalisé par Fabrice Bugaud & sa brigade, traiteur à Chalon-sur-Saône et animé par les « Joyeux Bourguignons »)
Lire aussi l'interview de Gérard Oberlé sur ce blog.