Herman Van Rompuy élu du conclave européen de Bruxelles
Publié le 20 novembre 2009 par Sylvainrakotoarison
Avec son allure modeste et "rond de cuir", le Belge Herman Van Rompuy devient le premier pape des nouvelles institutions européennes : une étape historique dans la construction
européenne.
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À la suite de sa
laborieuse période de ratifications nationales (presque deux années), le
Traité de Lisbonne va être mis en application à partir du 1
er décembre 2009.
Étape historique car avec lui, c’est la conclusion d’une décennie de discussions sur les problèmes
institutionnels inextricables qui visaient à transformer une structure initialement prévue pour six pays (avec règle de l’unanimité) en une structure plus souple et plus efficace pour gérer
vingt-sept pays membres (avec des majorités qualifiées).
De nouvelles institutions pour l’Europe
Parmi les principaux changements, la désignation de deux nouveaux personnages qui devraient clarifier
les rapports entre l’Union européenne et le reste du monde : un Président du Conseil européen pour un mandat de deux ans et demi reconductible, chargé de préparer les Conseils européens
tout en maintenant les présidences tournantes tous les six mois, et un Haut représentant pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, équivalent d’un super-ministre des Affaires
étrangères.
Après de difficiles négociations et une précédente
réunion du Conseil européen des 29 et 30 octobre 2009, les vingt-sept chefs d’États et de gouvernement
de l’Union européenne ont réussi finalement à sauver la face lors du sommet européen de Bruxelles du
jeudi 19 novembre 2009.
Tout laissait
entendre que la nuit serait longue et que le sommet pourrait être prolongé jusqu’au week-end. Le pire n’étant jamais sûr, la fumée blanche est donc sortie dès le début de la soirée.
Fumée blanche pour un conclave européen. Car opacité dans le processus de décision puisque certaines personnalités s’étaient présentées comme
candidates, mais d’autres noms furent aussi en jeu sans être candidats.
Présidence du Conseil européen
Le premier Président du Conseil européen sera la personnalité clef des nouvelles institutions européennes. Son rôle est avant tout de personnifier
l’Union européenne tant vis-à-vis des interlocuteurs étrangers que des citoyens européens. Donner un visage et une voix à l’Union européenne.
On se rappelle à quel point la personnalité peut créer la fonction. Celle par exemple de Jacques Delors, Président de la Commission européenne de 1985 à 1995, qui avait su impulser deux réformes
essentielles, l’Acte unique et le Traité de Maastricht visant à acquérir une monnaie unique.
Mais on sait aussi que des personnalités plus fades, ou des volontés politiques moins affirmées peuvent également "ramollir" l’âme
européenne.
À cet égard, les chefs d’État et de gouvernement ont souvent été les "impulseurs" de la construction européenne, et en particulier le couple franco-allemand : que ce soit Charles De Gaulle et Konrad Adenauer, Valéry Giscard d’Estaing et Helmut Schmidt,
François Mitterrand et Helmut Kohl, Jacques Chirac et Gehrard Schröder… ou maintenant Nicolas Sarkozy et Angela
Merkel. L’idée de Giscard d’Estaing de faire des sommets européens aurait pu faire croire qu’elle
allait favoriser les États au détriment de l’Europe alors qu’en fait, ce fut toujours par cette instance que l’intégration de l’Europe a fait des avancées notables.
Les anciens favoris
Il y a un an et demi, le favori à ce poste était le Premier
Ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker. Président de l’Eurogroupe (l’ensemble des Ministres des
Finances de la zone euro), il s’était montré comme le plus compétent et le plus expérimenté pour un poste qui requiert à la fois une grande habileté politique et une bonne reconnaissance
internationale. Son inertie face à la crise financière a toutefois déçu beaucoup d’acteurs européens.
Ensuite, ce fut le tour de Tony Blair, ancien Premier
Ministre britannique, de devenir le favori. Son avantage est sa notoriété internationale et sa forte personnalité qui lui aurait permis d’être un interlocuteur de poids face à Barack Obama, Vladimir Poutine ou Hu Jintao.
Son handicap, c’est ce qu’il représente politiquement : travailliste alors que la majorité européenne est plutôt démocrate-chrétienne, plus atlantiste qu’européen au point d’avoir été un
allié trop actif de George W. Bush dans la guerre en Irak, et relativement mou concernant un référendum qu’il avait lui-même envisagé pour doter la Grande-Bretagne de l’euro.
Le suspens en 2009 concernant les processus de
ratification du Traité de Lisbonne (notamment en Irlande, Pologne et République
tchèque) et certaines polémiques sur le Traité ont rendu les supputations encore plus confuses.
Un courant assez large a vu le jour en faveur de l’ancienne Présidente de Lettonie, Vaira Vike-Freiberga (soutenue entre autres par Simone Veil et par Daniel
Cohn-Bendit) afin de mettre en avant des femmes à des postes de responsables suprêmes en Europe.
Cependant, âgée déjà de 71 ans, Vaira Vike-Freiberga ne semblait pas la mieux placée des candidats pour jouer un rôle moteur dans les institutions.
On évoquait aussi périodiquement l’hypothèse du Premier Ministre français François Fillon (proposé aussi par Jacques Delors pour succéder à José Manuel Barroso) et de nombreux autres personnalités politiques, souvent pour des raisons de
politique intérieure des pays membres (comme Guy Verhofstadt, Mary Robinson etc.).
Finalement, c’est le favori du jour qui a été désigné à l’unanimité : l’actuel Premier Ministre belge Herman Van Rompuy, un flamand
démocrate-chrétien de 62 ans qui a réussi à maintenir la fragile unité de la Belgique depuis onze mois
(nommé le 30 décembre 2008) malgré de profondes divisions politiques et linguistiques.
Qui est Herman Van Rompuy ?
Intellectuel, francophile, très réservé (le contraire de Tony Blair : « Tout
être humain doit choisir entre l’absurde et le mystère. Moi, j’ai choisi le mystère… »), une silhouette de professeur Nimbus d’un
temps révolu, l’œil vif, plein d’humour et d’autodérision, et amateur de haïkus (il en a rédigé beaucoup lorsqu’il était
ministre dont un sur sa propre calvitie : « Cheveux dans le vent, le vent rattrape les années, partis les
cheveux… »), Herman Van Rompuy est souvent appelé "l’horloger des compromis impossible" pour sa capacité à mettre d’accord des
camps très opposés.
À l’issue du sommet de Bruxelles, Herman Van Rompuy a
déclaré le 19 novembre 2009 : « J’y vois d’ailleurs une marque de reconnaissance à l’égard de la Belgique qui, en tant
qu’État fondateur, s’est investie sans relâche dans la construction européenne. » ajoutant avec modestie mais
détermination : « Je n’ai pas sollicité cette haute fonction. Je n’ai entrepris aucune démarche. Mais à partir de ce soir, je
l’assume avec conviction. »
En dégât collatéral, la Belgique perd un Premier Ministre
inespéré et aura bien du mal à préserver les espoirs de réconciliation entre Wallons et Flamands. Ce sera la dure tâche du roi des Belges dans les jours prochains (la nomination du futur
Premier Ministre belge).
Conciliateur plutôt que leader
Le sommet européen a donc préféré miser sur une personnalité peu connue sur le plan européen, d’un leadership moyen mais ayant une forte culture du
dialogue et de la négociation. Histoire peut-être de ne pas faire trop de l’ombre aux leaderships nationaux.
C’est aussi un succès personnel de Nicolas Sarkozy et
d’Angela Merkel qui ont su raviver la coopération franco-allemande (notamment à l’occasion des commémorations communes du 9
novembre 1989 à Berlin et du 11 novembre 1918 à Paris) et présenter une candidature commune pour
cette nomination cruciale.
Super-ministre des Affaires étrangères
La désignation du super-ministre des Affaires étrangères a été couplée avec celle de Herman Van Rompuy obtenue avant tout grâce au désistement de
Tony Blair (initialement soutenu par la Grande-Bretagne et par l’Italie). En lot de consolation, la Grande-Bretagne obtient donc ce poste également très convoité par la nomination de Catherine
Ashton, 53 ans, commissaire européenne sortante (succédant le 6 octobre 2008 à Peter Mandelson au Commerce). D’origine française (née Courtenay), Catherine Ashton parle couramment le français
comme Herman Van Rompuy. Elle est aussi baronne depuis 1999 afin de siéger à la Chambre des Lords (dont elle a été la Présidente).
Parmi les "recalés" à ce poste, la candidature italienne de Massimo D’Alema, ancien Président du Conseil italien et surtout ancien président du
parti communiste italien dont ne voulait en aucun cas Angela Merkel ni les pays d’Europe centrale et orientale qui ont trop connu la répression communiste. Par ailleurs, D’Alema a été considéré
aussi comme "trop" pro-palestinien pour avoir une réelle impartialité dans des négociations internationales.
Les autres noms français qui avaient été cités, entre autres,
à ce poste, furent Michel Barnier, deux fois commissaire européen et ancien Ministre français des Affaires
étrangères (du gouvernement Raffarin), et Hubert Védrine, ancien secrétaire général de l’État (sous François Mitterrand) et ancien Ministre des Affaires
étrangères (sous Jacques Chirac) et déjà soumis aux tentations de l’ouverture au printemps 2007.
Un équilibre subtil
Les quatre principaux postes des institutions de la nouvelle Union européenne sont ainsi occupés avec une diversité de sexe, de tendance politique
et de lieu géographique et historique : le Président du Conseil européen Herman Van Rompuy (démocrate-chrétien) représentant les
membres fondateurs, le Président de la Commission européenne José Manuel Barroso (démocrate-chrétien mais soutenu par beaucoup de responsables social-démocrates) représentant l’Europe du Sud, la Haute représentante pour les Affaires étrangères Catherine Ashton (social-démocrate), représentant la Grande-Bretagne et unique femme, et enfin, le Président du Parlement européen Jerzy Buzek (démocrate-chrétien), représentant les nouveaux venus de l’Europe centrale et orientale.
Le futur
Tout va dépendre de la manière dont Herman Van Rompuy va s’approprier de ses nouvelles fonctions. Il disait récemment : « L’avenir de l’Europe ne dépend pas d’une seule personne, mais de quelqu’un qui l’aidera à mieux fonctionner. »
Dans tous les cas, son mode de désignation n’est pas absolument pas satisfaisant puisque c’est l’opacité des coulisses qui a prévalu à un choix
clair, politique et démocratique.
L’étape suivante pourrait donc être de mettre en place une véritable procédure de désignation avec l’obligation de se porter candidat et d’être
auditionné sur un projet à présenter à l’ensemble des représentants des États. L’heure n’est plus au consensus mou nécessaire à l’époque de l’unanimité mais au choix politique clair et
clairement assumé dans cette nouvelle époque où prévaut pour la plupart des sujets une majorité qualifiée.
En attendant l’étape ultime, celle qui ferait de l’Union européenne une véritable entité démocratique : l’élection au suffrage universel
(direct ou indirect) du Président du Conseil européen par le demi milliard de citoyens européens. Une
élection qui serait donc supranationale et favoriserait l’émergence d’une opinion publique européenne et surtout, d’un véritable paysage politique européen.
Avec peut-être, dans un premier temps, un système qui pourrait être proche du processus électoral (complexe) des États-Unis afin de ne pas défavoriser les États européens.
Mais une telle élection, quel que soit son mode de scrutin, signifierait un réel changement de régime pour… les vingt-sept pays de l’Union
européenne.
Autrement dit, ce n’est donc certainement pas pour demain.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (20 novembre 2009)
Pour aller plus loin :
La désignation de Herman Van Rompuy (19 novembre
2009).
Discours de Herman Van Rompuy du 19 novembre 2009 à
Bruxelles.
Quand Valéry Giscard d'Estaing s'inquiétait de l'impréparation.
Négociation pour la désignation de la tête de l’Union
européenne.
Jean-Claude Juncker favori en 2008.
Traité de Lisbonne (texte intégral à télécharger en
pdf).
Les ratifications du Traité de Lisbonne.
Vingt ans de chute du mur de Berlin (9 novembre
2009).
La construction européenne.