Dans un entretien à France Info, le bâtonnier de Paris, Christian Charrière-Bournazel, appelle l’ensemble des avocats à soulever la nullité de toutes les procédures de garde à vue du fait de leur contrariété à l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme au regard de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, 27 novembre 2008, Salduz c. Turquie, requête no 36391/02 ; CEDH 13 octobre 2009, Dayanan C/ Turquie, requête no 7377/03).
Dans cette dernière affaire la Cour rappelle qu’en ce qui concerne l’absence d’avocat lors de la garde à vue, que :
“le droit de tout accusé à être effectivement défendu par un avocat, au besoin commis d’office, figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable (Salduz, précité, § 51, Poitrimol c. France, 23 novembre 1993, § 34, série A no 277-A, et Demebukov c. Bulgarie, no 68020/01, § 50, 28 février 2008)” et que “l’équité d’une procédure pénale requiert d’une manière générale, aux fins de l’article 6 de la Convention, que le suspect jouisse de la possibilité de se faire assister par un avocat dès le moment de son placement en garde à vue ou en détention provisoire” (§30-31).
Comme le note le bâtonnier, dès lors “toutes les gardes à vues sont illégales” au regard de l’article 6§1 de la CEDH puisqu’en France l’avocat n’est pas présent dès le début de la garde à vue.
“Depuis les deux arrêts en questions, toutes les gardes à vues qui ont lieu aujourd’hui en France sont illégales, sont des voies de fait, et seront donc annulées, je l’espère, par les tribunaux français si la justice française se ressaisit, et seront en tout cas condamnées par Strasbourg“.
“C’est très grave“, ajoute-t-il.
“Ce sont des gardes à vues contraires au principe du procès équitable, selon la Cour européenne de justice de Strasbourg. Elles sont donc illégitimes, et elles sont nulles.”
Pour le bâtonnier, les gardes à vue sont aussi “des lieux de traitements inhumains et dégradants contrairement contraires aux libertés essentielles”.
“Dans tous les autres pays d’Europe, l’avocat est présent dès le début” de la garde à vue, poursuit Christian Charrière-Bournazel, sauf en Belgique.
Méprisant le fait que l’interprétation de la Convention européenne des droits de l’homme vaut pour l’ensemble des pays membres du Conseil de l’Europe, le ministère de la Justice fait la réponse suivante - par la voix du porte-parole adjoint du ministère, Arthur Dreyfuss, joint par le Nouvelobscom :
L’arrêt de la CEDH “condamne la Turquie, et non la France’”.
“Or, la Turquie n’a pas du tout le même système judiciaire que la France“.
Le ministère estime au contraire que l’arrêt de la Cour de Strasbourg “conforte le dispositif judiciaire français, car depuis près de 10 ans [la loi Guigou de juin 200], notre code de procédure pénale prévoit la présence de l’avocat dès le début de la garde à vue [en application de l’article63-4 du CPP]”.
Il précise que même les exceptions, notamment en matière de terrorisme, ont été validées par la CEDH.
La portée de la décision de 2008 n’avait pas échappé à Nicolas Hervieu, dans la lettre actualités droits-libertés du 28 novembre 2008 consacrée à l’affaire Salduz c. Turquie (CEDH, 27 novembre 2008)
” La Cour n’est toutefois guère loin de cette position, ce qui remettrait alors en cause certaines tendances récentes et grandissantes du droit français (repousser à 48 ou 72 heures après le début de la garde à vue l’échéance à partir de laquelle une personne à le droit de s’entretenir avec un avocat, notamment pour les infractions en « bandes organisées » ou liées au terrorisme - Art. 63-4 al. 7 du Code de Procédure Pénale)”.
Nous reproduisons ci-dessous, avec son autorisation, cette lettre - décidément précieuse.
- “Exclusif : en France, les gardes à vue seraient toutes illégales”, France Info, 17 novembre 2008.
- “Les gardes à vue sont toutes “illégales” “, NOUVELOBS.COM | 17.11.2009 | 19:11.
- Alain Salles, “Les avocats contestent la légalité de la garde à vue“, LE MONDE | 18.11.09 | 14h34.
- Voir le dossier, la revue de presse et la pétition sur “abolition la garde à vue sans avocat”
A noter, en Une du Monde version papier du 19 novembre, des énormités juridiques:
“La CEDH n’est qu’un organe consultatif. Sa jurisprudence ne s’impose pas aux Etats. Néanmoins le juge national peut s’en inspirer“.
“Ces derniers mois, la CEDH avait critiqué (…): la non-motivation des arrêts de cours d’assises” (”Les avocats français contestent la légalité des procédures de la garde à vue”).
La Cour de Strabourg est une juridiction, permanente depuis 1998, dont les décisions et l’interprétation s’imposent aux Etats membres et à leurs juridictions. Le comité des ministres du Conseil de l’Europe est chargé de l’exécution des décisions.
La Cour européenne a condamné la Belgique et non la France sur la question des motivations des décisions de Cours d’Assises.
Il serait bon qu’un grand quotidien comme Le Monde vérifie avant de publier pareilles âneries juridiques.
— —
CREDOF Centre de recherche sur les droits fondamentaux - Université Paris Ouest Nanterre-La Défense
Actualités droits-libertés du 28 novembre 2008 par Nicolas HERVIEU
I - DROIT AU PROCES EQUITABLE (Art. 6 CEDH) : Accès à un avocat et interrogatoires en garde à vue
Au cours d’une manifestation en faveur du PKK (Parti des Travailleurs Kurdes) interdite par les autorités turques, un jeune homme mineur fut arrêté par des policiers d’une section antiterroriste. Ceux-ci le soupçonnaient d’avoir pris part à cette manifestation et d’avoir accroché une banderole sur un pont. Une fois placé en garde à vue, il fut interrogé par la police hors de la présence d’un avocat - comme le permettait à cette époque la législation turque pour les procédures relevant des cours de sûreté de l’Etat - et reconnu les faits qui lui étaient reprochés. Après diverses vérifications médicales attestant l’absence de mauvais traitements, il fut présenté au procureur puis au juge d’instruction et revint alors sur ses aveux, toujours sans avoir le droit d’être assisté par un avocat. Au terme des procès en première instance et en appel, il fut condamné à deux ans et demi d’emprisonnement.
La formation de Chambre saisie initialement (26 avril 2007) avait condamné la Turquie pour une violation désormais classique de l’article 6 § 1 (absence de communication à l’accusé des réquisitions écrites du procureur général). Cependant, elle avait rejeté l’argumentation du requérant qui contestait l’absence d’un avocat auprès de lui lors des interrogatoires et ce, en estimant que ce fait n’avait pas, en l’espèce, remis en cause l’équité du procès survenu par la suite. Si la Grande Chambre confirme de façon lapidaire le premier point (§ 67), elle infirme la solution de la Chambre sur le second.
En effet, la Cour souligne d’abord qu’ « une législation nationale peut attacher à l’attitude d’un prévenu à la phase initiale des interrogatoires de police des conséquences déterminantes pour les perspectives de la défense lors de toute procédure pénale ultérieure » (§ 52) et qu’« un accusé se trouve souvent dans une situation particulièrement vulnérable à ce stade de la procédure » (§ 55). De plus, le juge européen relève les intérêts de la présence d’un avocat à ce stade (ceci « contribue[…] à la prévention des erreurs judiciaires, [à] l’égalité des armes entre les autorités d’enquête ou de poursuite et l’accusé » - § 53 - et « le droit de tout détenu à l’obtention de conseils juridiques constitue une garantie fondamentale contre les mauvais traitements » - § 54, la Cour s’appuie ici sur les rapports du Comité européen pour la prévention de la torture). Dès lors, la Cour européenne énonce solennellement qu’ « il faut, en règle générale, que l’accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d’un suspect par la police, sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit. Même lorsque des raisons impérieuses peuvent exceptionnellement justifier le refus de l’accès à un avocat, pareille restriction - quelle que soit sa justification - ne doit pas indûment préjudicier aux droits découlant pour l’accusé de l’article 6 […]. Il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d’un interrogatoire de police subi sans assistance possible d’un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation » (§ 55).
A l’aune de ce principe, la Cour relève en l’espèce que le refus d’accès à un avocat opposé au requérant était insuffisamment justifié (§ 56). De plus, il est noté - de façon surabondante ici - que les juridictions se sont fondées essentiellement sur les déclarations formulées par le requérant durant les interrogatoires en garde à vue (§ 57 et 58).
Enfin, la Cour souligne que ce dernier était mineur au moment des faits, ce qui rend encore plus impérative la garantie de présence d’un avocat (§ 60).
Partant, la Turquie est condamnée pour violation de l’article 6.
Cette solution conduit la Cour à poser assez fermement l’exigence d’accès à un avocat lors des phases d’interrogatoires, notamment policières, durant la garde à vue et à concevoir restrictivement les exceptions à ce principe. Cependant, on peut regretter avec le juge Zagrebelsky et le juge Bratza (opinions concordantes) que le juge européen reste au milieu du gué en n’affirmant pas plus nettement l’application de ce principe à toute la période de garde à vue indépendamment des phases d’interrogatoires. La Cour n’est toutefois guère loin de cette position, ce qui remettrait alors en cause certaines tendances récentes et grandissantes du droit français (repousser à 48 ou 72 heures après le début de la garde à vue l’échéance à partir de laquelle une personne à le droit de s’entretenir avec un avocat, notamment pour les infractions en « bandes organisées » ou liées au terrorisme - Art. 63-4 al. 7 du Code de Procédure Pénale)
Salduz c. Turquie (requête no 36391/02) du 27 novembre 2008
en word