Un homme soupçonné d’avoir commis un meurtre au Kazakhstan - État dont il est ressortissant - fut appréhendé et placé en détention en Ukraine. Ce dernier État a initié une procédure d’extradition vers et à la demande du premier. Cependant, la Cour européenne des droits de l’homme, sollicitée en ce sens par l’intéressé, notifia au gouvernement ukrainien une mesure provisoire tendant à la suspension de cette procédure le temps que la requête présentée devant elle soit jugée au fond.
La Cour devait ici déterminer si l’extradition du requérant vers le Kazakhstan par décision de l’Ukraine conduirait à une violation “par ricochet” de ses droits conventionnels (V. par ex. Cour EDH, G. C. 28 février 2008, Saadi c Italie, Req. n° 37201/06 - pour une présentation lettre ADL ou CPDH 26 février 2009 ).
A cette fin et conformément à sa pratique habituelle, la Cour analyse la situation au sein de l’État destinataire à l’aide des rapports d’organisations gouvernementales, internationales et non gouvernementales (§ 68 à 79).
En l’espèce, se trouvaient surtout en jeu le risque pour ce requérant de se voir infliger au Kazakhstan la peine de mort (Art. 2) et celui de subir des actes de tortures et des traitements inhumains et dégradants (Art. 3).
Sur l’allégation première relative au droit à la vie, la Cour rappelle l’interdiction pour les États parties d’extrader une personne si elle est “exposée à un risque réel d’être passible de la peine capitale dans l’État de réception” (§ 99).
Or, elle estime ici que tel n’est pas le cas. En effet, le moratoire sur la peine de mort et son exécution décidé au Kazakhstan en 2003, la réduction des crimes passibles de cette peine ainsi que les assurances du gouvernement kazakh de ne pas poursuivre le requérant pour l’un de ces crimes (§ 102) incitent la Cour à conclure en l’absence de risque réel d’exécution et donc de violation de l’article 2 (§ 103).Cette confiance - certes relative - de la juridiction européenne peut surprendre alors même qu’elle a reconnu que “le moratoire sur les exécutions pouvait être annulé, par seule décision du Président du Kazakhstan, et à n’importe quel moment” (§ 101). Le risque pris ici par les juges strasbourgeois apparaît cependant calculé au regard de leur solution sur le terrain de l’article 3.
En effet, s’agissant du risque de torture et de mauvais traitements, la Cour , toujours à l’aide des rapports précités, souligne que de “nombreuses sources crédibles rapportent des cas de tortures, mauvais traitements de détenus, de bastonnades habituelles et d’usage de la force contre des suspects par les autorités policières kazakhs afin d’obtenir des aveux” (« According to these materials, there were numerous credible reports of torture, ill-treatment of detainees, routine beatings and the use of force against criminal suspects by the Kazakh law-enforcement authorities to obtain confessions » - § 111). En outre, les conditions de détention dans cet État ne respectent pas les exigences conventionnelles (§ 111). En conséquence, et faute pour l’État défendeur d’apporter des preuves contraires, il est établi que le requérant “court un risque sérieux de subir des faits de torture ou de traitements inhumains et dégradants“ (§ 112). Son extradition vers le Kazakhstan emporterait donc une violation de l’article 3 par l’Ukraine (§ 114).
De plus, la Cour condamne l’Ukraine pour une violation - directe cette fois-ci - du droit à un recours effectif (Art. 13 - § 120) ainsi que du droit à la liberté et à la sureté (Art. 5 - § 129 à 159) pour sa détention dans l’attente de l’extradition.
Le tableau des violations ne sera toutefois complet qu’après avoir indiqué que l’Ukraine se voit aussi reprocher le non-respect de l’article 34 (droit au recours devant la Cour) non pas pour les éventuelles pressions qui ont conduit le requérant à retirer momentanément sa requête ( la Cour énonce d’ailleurs curieusement à ce sujet que « this letter [lettre de rétractation] came about as the result of the applicant’s personal decision to withdraw his application, whether under influence of the State authorities or not ») mais pour avoir assorti la lettre de celui-ci à destination de la Cour de documents et commentaires (§ 165).
Kaboulov c. Ukraine (Cour EDH, 5e Sect. 19 novembre 2009, req. n° 41015/04 ) - En anglais
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Actualités droits-libertés du 19 novembre 2009 par Nicolas HERVIEU