Depuis plus de vingt ans, l’université Lyon 2 abritait une structure informelle en charge de l’organisation de colloques internationaux annuels, les ” Entretiens Jacques Cartier “. Les deux entités souhaitent aujourd’hui cesser leurs relations.
Le président de l’Université a saisi le Trésorier payeur général et la direction des affaires financières du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche pour qu’ils se prononcent sur ce dossier aux conséquences potentiellement lourdes pour Lyon 2. Car, les sommes en jeu sont tout sauf anodines. Le fond de roulement du centre Jacques Cartier est de 1,5 millions d’euros. Ce qui représente plus de 13% du fond de roulement global de l’Université. Et représente surtout beaucoup au regard de l’activité du centre Jacques Cartier.
Le centre ne « gagne » pas d’argent en soi, ou très peu grâce aux cotisations et droits d’inscriptions aux « Entretiens Jacques Cartier ». Mais il bénéficie de très généreux dons privés. Et, surtout, d’encore plus généreuses subventions publiques, notamment des collectivités locales. Le centre dispose ainsi d’un confortable budget annuel d’environ 900.000 euros par an. Or cette somme n’a pas été entièrement dépensée ces dernières années. Ce qui explique le trésor de guerre constitué. Trésor qu’Alain Bideau n’a visiblement guère envie de laisser à l’université.
Transfert des fonds vers une fondation
En avril dernier, il a donc proposé au conseil d’administration de Lyon 2 de faire « évoluer » les statuts du centre et – accessoirement – de récupérer une bonne partie des fonds. Le centre serait toujours domicilié à Lyon 2 mais une fondation, le Fonds Jacques Cartier, serait créée parallèlement pour recevoir les nombreux dons privés, notamment Canadiens. Le projet d’Alain Bideau prévoit un transfert des fonds actuels du centre vers cette fondation. Certes, le document précise qu’il s’agit du transfert « des fonds d’origine privés », dont le montant a été évalué par Alain Bideau à 700.000 euros, soit la moitié de son fond de roulement. L’université garderait l’autre moitié. Sauf que celle-ci n’entend pas négocier de l’argent devenu public dès lors qu’il a été intégré à sa comptabilité. Le 10 juillet dernier, le conseil d’administration de Lyon 2 a tranché dans le vif, ne donnant pas suite à la proposition d’Alain Bideau et votant à l’unanimité la fin du rattachement du centre Jacques Cartier à l’université. A partir du 1er janvier 2010, le centre n’aura donc plus de locaux, plus de site internet et… plus d’argent. L’affaire fait tâche alors que s’ouvrent à Lyon, comme toujours en grande pompe, les 22ème entretiens Jacques Cartier.
Le vent mauvais avait commencé à souffler l’an dernier sur ces Entretiens, lorsqu’ Etienne Tête, élu vert à la Région et à la Ville de Lyon, s’était inquiété de la trop grande générosité des collectivités locales à l’égard du centre Jacques Cartier. 80.000 euros de la région Rhône-Alpes, 23.000 du département du Rhône, 30.000 de la Ville de Lyon, 40.000 du Grand Lyon. Subventions auxquelles s’ajoutent d’importantes enveloppes de frais pour les élus et délégations participants aux Entretiens Jacques Cartier. Etienne Tête mettait clairement en doute l’usage faits ces fonds publics. Dans une lettre adressée au président de la région Rhône-Alpes Jean-Jack Queyranne, et rendue alors publique par LibéLyon (lire l’article), il écrivait noir sur blanc : “les comptes du centre Jacques Cartier ne sont pas clairs”. Et demandait au président de bien vouloir revoir désormais à la baisse les aides accordées au centre Jacques Cartier. Dans la foulée, les autres collectivités locales, gênées par la tournure que prenaient les choses, promettaient mollement de contrôler ces subventions plus attentivement. Sans toutefois couper totalement les vivres au centre Jacques Cartier. Devenu une sorte d’incontournable institution locale. Aussi incontournable que son directeur-fondateur.
Alain Bideau, ancien barriste chouchouté
Alain Bideau est un homme chouchouté par les élus. Ancien adjoint de Raymond Barre, démographe de profession, il a toujours su rester très proche des milieux politiques et économiques lyonnais. Gérard Collomb, qui a toujours soigné au petit poil les anciens réseaux barristes, lui sait gré d’avoir gentiment participé au sabotage de la campagne de Dominique Perben aux dernières municipales. En dehors de ce comportement politique toujours bien aimable, la démarche d’Alain Bideau de vouloir faire « rayonner » la ville grâce à ses Entretiens a de quoi séduire les élus. Qui le lui rendent bien. Ils sont toujours en délégations serrées au frais des collectivités pour se rendre aux Entretiens Jacques Cartier lorsque ceux-ci ont lieu au Canada. Samedi 28 novembre, pour l’ouverture officielles des 22è Entretiens à Lyon, un dîner de 200 convives est organisé par la mairie, dans les salons de l’Hôtel de Ville.
A l’origine, le centre Jacques Cartier a été créé en 1984 sous le patronage de l’industriel Alain Mérieux, dans le but de développer des réseaux entre universitaires, politiques et dirigeants d’entreprises de la région Rhône-Alpes et du Québec, puis du Canada. Ce réseau s’organise autour de conférences, colloques, publications mais surtout au travers des fameux Entretiens Jacques Cartier, grand raout politico-économico-universitaire annuel qui se délocalise une fois tous les quatre ans au Québec et au Canada.
“Dès le début a été conçue une structure souple et volontairement peu dispendieuse”, est-il expliqué très sérieusement sur le site interne du Centre. Le terme apparaît pour le moins mal choisi. En 2008, le centre Jacques Cartier a dépensé quelques 337.000 euros en frais de déplacements. Et 27.000 euros en frais de réception. Alain Bideau a un bon coup de fourchette. Ou de nombreuses bouches affamées à nourrir. Comme en témoignent des notes de plus de 1000 euros, laissées dans de grandes tables lyonnaises et arrivées sur le bureau de l’agent comptable de Lyon 2. Des dépenses somptuaires mais finalement tout à faits raisonnables au regard des capacités de paiement du centre, puisque chaque année il en reste sur les comptes. Ce qu’ignoraient les collectivités locales qui lui ont accordé leurs subventions.
Dans les bilans financiers présentés pour les demandes de subventions, les dépenses et les recettes du Centre Jacques Cartier sont toujours présentées comme relativement équilibrées. Ne laissant pas apparaître la thésaurisation, répartie en fait sur deux comptes différents. Selon Etienne Tête, ces collectivités pourraient aujourd’hui réclamer le retour de ces subventions, même si elles ne le feront vraisemblablement pas. L’université, elle, n’entend pas lâcher le morceau. D’autant que cela fait un moment que les rapports sont tendus entre Alain Bideau et Lyon 2. En 2008, l’université lui avait déjà refusé une prime de 18.000 euros qu’il réclamait pour son travail au centre Jacques Cartier.
source: Libération