Dans le deuxième volet de ce qui constituera une trilogie consacrée à Josefov, le quartier juif qui se déploie de part et d'autre de Parizska, l'Avenue de Paris, depuis la Place de la Vieille Ville de Staré Mesto jusqu'au méandre de la Vltava, la rivière qui traverse toute la ville, je vous avais invité, ami lecteur, à me suivre dans le classique circuit des synagogues.
Aujourd'hui, j'aimerais vous convier à une déambulation dans un endroit extrêmement particulier, coincé d'ailleurs entre la Salle des Cérémonies et les synagogues Klausen et Pinkas évoquées samedi dernier : le vieux cimetière juif, aménagé là dans le courant de la première moitié du XVème siècle.
Surabondamment exploité, cet espace constitua, trois siècles durant, l'ultime rendez-vous de tous les Juifs de Prague : des milliers et des milliers de stèles se sont en effet accumulées depuis qu'en 1439, la tombe du rabbin et poète religieux Avigdor Kara y fut creusée et jusqu'en 1787, date de la toute dernière inhumation.
L'exiguïté du lieu contraignit à plusieurs reprises les autorités à recouvrir de terre certaines parties du cimetière de manière à récupérer de la place. Selon les historiens, quelque 12 000 tombes seraient recensées, mais il est incontestable qu'il y a bien plus d'inhumés sur la douzaine de niveaux ainsi superposés les uns sur les autres.
Rassurez-vous, ami lecteur, aucun cataclysme naturel, aucune profanation humaine ne sont à l'origine de cet amoncellement pour le moins cahotique : mais c'est précisément la superposition des couches de sépultures et l'obligation, très souvent, de relever les pierres les plus anciennes qui donnent à cette Troie tchèque un aspect absolument unique.
Les évoquer toutes serait évidemment fastidieux, voire complètement impossible. Nonobstant, le long du mur ouest, un monument funéraire parmi d'autres attire immanquablement les touristes les plus avertis : il s'agit de la tombe de Rabbi Löw.
Décédé en 1609, le rabbin Juda Liva ben Betsalel fut apparemment un des grands érudits de son temps : théologien philosophe, astronome, fondateur d'une école talmudique et grand pédagogue, il est par ailleurs réputé pour avoir créé le Golem. Les pouvoirs surnaturels prêtés à Rabbi Löw seraient en fait à l'origine de la création de cet être artificiel qu'il aurait modelé avec l'argile prélevée dans la Vltava et auquel il donnait vie en déposant dans sa bouche une petite pierre sur laquelle était gravée une formule magique rédigée en hébreu.
Je vous fais grâce des différentes variantes du corps même de la légende pour arriver tout de suite à sa fin : le Golem devient fou et son Pygmalion se voit contraint de le cacher. Ce sera dans les combles de la synagogue Vieille-Nouvelle où, de nos jours encore, il y résiderait ...
L'histoire de cet humanoïde, vous vous en doutez, inspira les Lettres - (on doit ainsi à un ancien prix Nobel de littérature, l'écrivain yiddish Isaac Bashevis Singer, une version moderne de la légende) -, le théâtre, l'opéra, mais aussi le cinéma, de Walt Disney à Quentin Tarentino, sans oublier, il faut bien évoluer avec son temps, des jeux vidéos pour enfants (?), notamment dans la série des "Pokemon" !
Mais revenons au vieux cimetière juif, si vous le voulez bien, aux historiens de la judaïté et plus spécifiquement aux épigraphistes qui s'y sont intéressés. Les pierres tombales, en effet, présentent là cette particularité, en plus d'évidemment indiquer le nom du défunt et la date de sa mort, de fournir celle de son enterrement, ainsi que le nom de son père. Elles sont en outre gravées de symboles en relation avec la famille, la profession, voire le statut social de la personne décédée : ce seront une paire de ciseaux pour les tailleurs, un couteau pour les bouchers, des mains bénissant pour la famille Cohen, un ours pour les Braun, un poisson pour les Fisher ... ou un lion au sommet du monument funéraire de Rabbi Löw.
De plus, il s'avère que les stèles attribuées à des femmes sont plus intimement détaillées encore : par exemple, si un personnage féminin seul figure sur la pierre, cela signifie que la défunte était vierge; et si sa main gauche est levée, qu'elle était fiancée ...
Un dernier point, caractéristique, avant de quitter définitivement ce cimetière et Josefov par la même occasion : j'avais remarqué que sur beaucoup de pierres tombales ainsi que dans les interstices de certains monuments funéraires étaient soit déposés des petits cailloux, soit insérés des morceaux de papier. Jeux d'enfants ? Parcours fléché à l'usage de modernes "Petit Poucet" ?
Assurément pas ! Renseignements pris, le dépôt de petites pierres correspondrait, pour le défunt, à une marque de respect de la part des visiteurs qui viennent se recueillir sur sa tombe; et les papiers pliés renfermeraient un voeu.
Autres lieux, autres moeurs ...