Marie N’Diaye reçoit le Goncourt 2009 : une euphorie de courte durée
…Pas un livre qui doit fermer sa gueule. Non?
Chers lecteurs, vous êtes au courant, comme tout le monde ou presque, que Marie N’Diaye a obtenu le Goncourt 2009 pour Trois femmes puissantes – prix à mon avis indubitablement mérité pour ce roman à trois volets, durement poétique, souverainement maîtrisé et haletant. Vous êtes aussi au courant que la dame a osé déclarer dans la presse que la raison pour laquelle elle vivait à Berlin tenait à la politique de Monsieur Sarkozy, jusqu’à dire : “Je trouve détestable cette atmosphère de flicage, de vulgarité… Besson, Hortefeux, tous ces gens-là, je les trouve monstrueux. Je trouve cette France-là monstrueuse” . Vous savez sans doute qu’Eric Raoult (député UMP de Seine Saint-Denis) s’est aussitôt érigé en juge suprême pour déclarer que Marie N’Diaye insultait personnellement le président de la République au lieu de se tenir à son “devoir de réserve dû aux lauréats du Prix Goncourt”.
Monsieur Raoult semble donc oublier trois choses : 1. Marie N’Diaye a reçu le Goncourt après avoir tenu ces propos, 2. Il n’est inscrit nulle part que le Prix Goncourt est un prix “ferme-ta-gueule” (on n’est pas chez les bolcheviks non plus, hein) 3. Et si Marie N’Diaye n’avait… pas tort?
Au moment où tombe la polémique, je m’envole justement pour Dakar, où mon travail (une pièce de théâtre sur… la rébellion face à une autorité injuste) a été programmé. Dans l’avion Air France où je m’installe, cosy, avec la comédienne, nous entendons soudain des hurlements étouffés et des pleurs. Un jeune homme noir se débat, tenu fermement par deux flics horriblement gênés. Le personnel de l’avion tente de garder son calme et de nous expliquer à voix basse que le jeune type, étudiant sans visa, est renvoyé “chez lui”, au Sénégal. Comme une muselière, un masque de chantier couvre la bouche du “clandestin”. La scène est humainement affreuse. On n’en saura pas plus. Qu’a fait le type pour être rapatrié aux frais du contribuable dans un avion Air France (pardonnez du peu) escorté par deux types? Si l’on avait affaire à Hannibal Lecter, ne l’aurait-on pas mis un peu plus à l’écart de la population? Que veut dire ce déploiement de force ridicule aux yeux des centaines de voyageurs de ce Boeing?
Décidément. On connaissait la blague : la dictature c’est “ferme ta gueule”, la démocratie c’est “cause toujours”. Que faut-il en déduire?
J’ai rencontré Marie N’Diaye et son mari Jean-Yves Cendrey à Berlin, l’an dernier. Difficile de croire à l’image agressive et vulgaire qu’en fait Raoult lorsque le couple se met à parler, elle de sa voix douce et légèrement voilée, lui, les yeux pétillants et la blague fusante. Qu’on partage, ou non, leur vision de la politique française aujourd’hui, force est de reconnaître que les auteurs, de tout temps, ont plutôt un devoir d’avertissement que de réserve. N’est-on pas reconnaissant aujourd’hui à Gide d’avoir publié en 1936 Retour d’URSS, revenant sur ses erreurs passées de fervent communiste? N’aurait-on pas bien fait de l’écouter alors, lorsqu’il tirait la sonnette d’alarme sur les pratiques totalitaires des Soviétiques? Que Marie N’Diaye se plante (à mon avis pas du tout), ou non, elle fait bien de l’ouvrir, et doit continuer à le faire.
Je vous propose plutôt de lire ici la diatribe terrible de Jean-Yves Cendrey sur Rue 89, drôle, sanglante, à l’image de son style rigolard jaune foie, dont il use fort bien dans son dernier bouquin, Honecker 21. Un article pourfendeur, qui rappelle avec bonheur la droiture éclatante d’un Cyrano de Bergerac, qui disait autrefois sous la plume de Rostand…
Chercher un protecteur puissant, prendre un patron,
Et comme un lierre obscur qui circonvient un tronc
Et s’en fait un tuteur en lui léchant l’écorce,
Grimper par ruse au lieu de s’élever par force ?
Non, merci ! Dédier, comme tous ils le font,
Des vers aux financiers ? se changer en bouffon
Dans l’espoir vil de voir, aux lèvres d’un ministre,
Naître un sourire, enfin, qui ne soit pas sinistre ?
Non, merci !
Et vous aussi, vous pouvez l’ouvrir sur ce blog – ou ailleurs, que diable!