« Que fais-tu grand-mère, assise là, dehors, toute seule ? »
Eh bien, vois-tu, j’apprends. J’apprends le petit, le minuscule, l’infini. J’apprends les os qui craquent, le regard qui se détourne. J’apprends à être transparente, à regarder au lieu d’être regardée. J’apprends le goût de l’instant quand mes mains tremblent, la précipitation du coeur qui bat trop vite. J’apprends à marcher doucement, à bouger dans des limites plus étroites qu’avant et à y trouver un espace plus vaste que le ciel.
« Comment est-ce que tu apprends tout cela grand-mère ? »
J’apprends avec les arbres, et avec les oiseaux, j’apprends avec les nuages. J’apprends à rester en place, et à vivre dans le silence. J’apprends à garder les yeux ouverts et à écouter le vent, j’apprends la patience et aussi l’ennui ; j’apprends que la tristesse du coeur est un nuage, et nuage aussi le plaisir ; j’apprends à passer sans laisser de traces, à perdre sans retenir et à recommencer sans me lasser.
« Grand-mère, je ne comprends pas, pourquoi apprendre tout ça ? »
Parce qu’il me faut apprendre à regarder les os de mon visage et les veines de mes mains, à accepter la douleur de mon corps, le souffle des nuits et le goût précieux de chaque journée ; parce qu’avec l’élan de la vague et le long retrait des marées, j’apprends à voir du bout des doigts et à écouter avec les yeux. J’apprends qu’il faut aimer, que le bonheur des autres est notre propre bonheur, que leurs yeux reflètent dans nos yeux et leurs coeurs dans nos coeurs. J’apprends qu’on avance mieux en se donnant la main, que même un corps immobile danse quand le coeur est tranquille. Que la route est sans fin, et pourtant toujours exactement là.
« Et avec tout ça, pour fini, qu’apprends-tu donc grand-mère ? »
J’apprends, dit la grand-mère à l’enfant, j’apprends à être vieille !
Source: Joshin Luce Bachoux chez ririfleur