George M. Taber : Le jugement de Paris.
Evénement ou non-événement médiatisé à outrance, ce que l’on désigne sous l’expression « jugement de Paris » ne fut au départ qu’une dégustation privée entre amateurs, dont XXX nous dévoile ici les
arcanes. Flash-back : Steven Spurrier, caviste américain renommé installé à Paris, rassemble en 1976 un jury d'experts français. Ceux-ci, invité à déguster et comparer des grands crus français et
californiens, couronnèrent ... les vins américains, à la surprise générale. Plus exactement, ce sont deux bouteilles californiennes de 1973 qui ont été classées en tête : un cabernet sauvignon de
Stag's Leap Wine Cellars (pour les rouges) et un chardonnay de Château Montelena (pour les blancs). Cet épisode annonça la reconnaissance et le succès qui s'ensuivirent pour les vins californiens,
mais également la flambée de leur prix qui était à l'époque de quelque six dollars la bouteille …
Steven Spurrier n’avait, en marchand installé en France et vendant à une clientèle surtout française, nullement l’intention d’humilier les vins français. Mais-au-delà du palmarès, c’est le
déroulement, de la dégustation qui a été controversé. La dégustation manquait en effet de rigueur. Spurrier lui-même nuancera la fidélité des résultats si une seconde dégustation était organisée un
autre jour. Une thèse de doctorat a même été consacrée à ce sujet. Pourtant, l’expérience a été réitérée à plusieurs reprises, et les résultats se sont confirmés en faveurs des crus américains.
Ces crus américains, justement, quels étaient-ils ? George Taber était le seul journaliste qui avait accepté de couvrir l'évènement, qui serait certainement passé inaperçu dans le cas contraire.
Dans ce livre, il revient bien-sûr sur la dégustation elle-même. Mais le plus intéressant est sa description de ces vainqueurs d’outre-Atlantique et de leur histoire, qui symbolise parfaitement le
rêve américain. Tout commence par des immigrants de l'Europe de l'Est qui ont conquis la plaine de Napa. Dénommés Grgich, Winiarski ou encore Tchelistcheff, ils font un rêve : y produire des vins
de qualité. Peu fortunés, ils ne peuvent pas se permettre de procéder empiriquement. Là où leurs confrères européens ont bénéficiés des siècles d’observations patientes de la part de leurs
ancêtres, ils travaillent en collaboration avec des scientifiques pour choisir les cépages, les porte-greffes et la manière de les planter, pour déterminer la forme des cuves ou la date des
vendanges, pour choisir les techniques de vinification, … Un travail acharné dont le jugement de Paris aura permis une reconnaissance internationale.
Une belle histoire comme celle-là ne pouvait laisser l’industrie du cinéma indifférente. Sorti en août 2008, Bottle Shock surfe sur une vague initiée avec Sideways, mais sans la double lecture
psychologique qu’offre ce dernier. L’histoire a été rabotée au standard du cinéma made in USA : héros, antihéros, jolie fille, amourette, happy end. Le scénario se déroule sans grande surprise,
avec les rebondissements qu’il faut, au moment où on les attend (action – émotion – action – émotion – etc.). Il n’évite pas les clichés faciles, tels que le trio 2CV + bérets + baguettes pour
montrer les Français, qui par ailleurs sont dépeints en d’effroyables chauvins snobinards quand ils dégustent du vin. Mais au final, pour qui prend ce film pour ce qu’il est, un divertissement sans
prétention, comme il est d’agrables petits vins sans prétention, il se laisse plaisamment regarder.
Le Jugement de Paris. George M. Taber. 324 pages. Editions Gutenberg. 2008. 24,50 €. Edition originale : Judgment of Paris,
Scribner, 2005
La dégustation. Etude des représentations des objets chimiques dans le champ de la conscience. Thèse de Frédéric Brochet, primée par l'Académie Amorin, 2001. Téléchargez la thèse au format PDF.
Bottle Shock. Film de Randall Miller (2008). Non sorti en France, mais disponible en DVD import.