Magazine Politique

Ségolène Royal : comment en est-on arrivé là ? Le film en 7 séquences

Publié le 20 novembre 2009 par Variae

Séquence 1 : l’enlisement

Ségolène Royal n’est bonne que dans l’offensive perpétuelle, qui a été son mode d’action depuis le début de sa candidature présidentielle, jusqu’au congrès de Reims. Du coup, battue dans le parti en novembre 2008, dénonçant le vote tout en n’allant pas jusqu’au bout de sa logique en refusant le résultat, elle peine pendant dix mois à trouver sa place. A l’intérieur ou à l’extérieur du Parti, avec ou contre Martine Aubry, à la tête ou non du courant qui l’a aidée au congrès, et de son association Désirs d’Avenir ? Elle oscille entre toutes les positions. Elle abandonne d’abord l’Espoir A Gauche à Vincent Peillon et aux autres ténors qui l’avaient aidée, critiquant les logiques de courant, avant de se raviser. Elle délègue à Jean-Pierre Mignard la présidence de Désirs d’Avenir, avant de le congédier. Elle se réconcilie théâtralement avec Martine Aubry, avant de menacer à nouveau le PS lors de la sortie du livre d’Antonin André et Karim Rissouli. Plus problématique, faute de renouveler son corpus idéologique, elle se fait progressivement banaliser dans le paysage socialiste. Les primaires sont récupérées par les quadras avant de passer dans le patrimoine commun ; la coalition arc-en-ciel devient réalité à Marseille puis à Dijon, grâce aux dirigeants de l’Espoir A Gauche. Absorbée par la préparation des régionales, elle perd des soutiens et décroche dans les sondages.

Ségolène Royal : comment en est-on arrivé là ? Le film en 7 séquences

Séquence 2 : la rentrée-catastrophe

La rentrée 2009 a comme un parfum de schkoumoune pour l’ex-candidate. Episode tragi-comique de la rénovation de son site Internet ; fête de la Fraternité à la voilure très réduite par rapport au Zénith de l’an passé ; fuites dans la presse sur le départ de toute une série de membres de sa garde rapprochée. Cette succession d’incidents n’est sans doute pas déterminante sur le long terme, mais accumulés et concentrés sur une courte période, ils donnent un fâcheux sentiment de cafouillage généralisé, qui génère doute et dépit chez ses partisans, et nuit à sa crédibilité. Chez les militants, chaque incident provoque des « reclassements » au sein de l’Espoir A Gauche. Quant à ceux dont la principale motivation reste sa candidature aux présidentielles, ils se sentent abandonnés dans l’appareil par l’ex-candidate, qui ne participe plus à la vie du parti et à celle, pourtant riche, du courant EAG.

Séquence 3 : la prise de conscience

Cette banalisation pimentée d’épisodes plus corsés a pour conséquence directe un amoindrissement des forces militantes de Ségolène dans le PS, amoindrissement auquel elle met un temps trop long à réagir. Peut-être est-elle « intoxiquée » par ses relais dans le parti, qui lui dépeignent une situation plus rose qu’elle ne l’est. C’est pourtant pour voler au secours d’un de ces soutiens – Dominique Bertinotti, alors mise en minorité dans l’Espoir A Gauche 75 – qu’elle finit par intervenir dans la Fédération de Paris, écrivant un message de soutien à la maire du IVème arrondissement de Paris pour sa candidature aux régionales mais … après le processus de désignation desdits candidats au sein du courant EAG. Ce deus ex machina tardif augmente la confusion à la base et provoque l’incompréhension de soutiens fidèles, qui ne comprennent pas qu’elle essaie d’imposer maladroitement, de la sorte, des candidats.

Séquence 4 : la légion saute sur Dijon

La semaine suivant ce coup de semonce, l’Espoir A Gauche se réunit à Dijon avec Europe Ecologie, le MoDem, le PRG et le MUP pour lancer le Rassemblement social, écologique et démocrate et un travail collectif sur l’éducation. L’événement, qui s’annonce historique, va donner un coup de projecteur évident à Vincent Peillon, qui en est l’artisan. C’en est trop pour Ségolène, qui a peur de se faire marginaliser définitivement dans l’Espoir A Gauche, et partant, dans le PS. Elle mûrit donc une stratégie pour faire d’une pierre non pas deux, mais trois coups : saboter l’événement, tacler Vincent Peillon, et reconstituer son autorité sur son dos. La méthode est simple. D’abord, ne rien dire de sa venue, pour laisser croire que comme à Marseille, elle ne sera pas là. Ensuite, annoncer l’air de rien sa présence par un communiqué sur son site Désirs d’Avenir, la veille du jour J, sans prévenir directement le principal intéressé. Parallèlement, essayer de semer la zizanie parmi les organisateurs en expliquant qu’elle a été invitée par François Rebsamen. Enfin et surtout, pousser Vincent Peillon à la faute en accumulant les provocations. Elle organise ainsi une conférence de presse sur le lieu même des débats pour menacer et rappeler à l’ordre le député européen, et se paie un tour des tables du banquet républicain réunissant tous les participants. Le tout sans réellement intervenir sur le fond du débat, si ce n’est pour présenter son chèque contraception – excellente mesure – à la table ronde sur … le temps scolaire et les biorythmes !

Séquence 5 : le storytelling

Pas besoin de revenir ici sur l’escalade verbale de cette semaine entre les deux protagonistes, par médias interposés. Comme toujours dans ce type de situation confuse, ce qui importe est d’imposer sa lecture des événements dans l’opinion. C’est ce que vont s’efforcer de faire Ségolène Royal et ses proches, en écrivant, via des passages médias et des billets sur leurs blogs, l’histoire suivante : « Vincent Peillon a voulu voler à Ségolène Royal son courant, et qui plus est lui interdire d’y participer ; il lui a manqué de respect et doit être sanctionné ». Najat Belkacem invente ainsi sur son blog que Dijon est une simple réunion de courant, et Michèle Delaunay, de son côté, en appelle à une commission d’éthique pour châtier l’eurodéputé ! Il s’agit, on l’aura compris, de tirer une affaire de rapports de force partidaires sur le terrain de la morale et de l’émotion, et d’inverser les rôles : ce ne serait pas Ségolène qui aurait gâché la mise en œuvre d’une de ses plus belles idées (le rassemblement des progressistes), ce serait Vincent Peillon qui lui aurait manqué de respect et trahi sa confiance.

Séquence 6 : l’état d’exception

Mardi soir, Ségolène annonce sur Canal+, au mépris des règles de fonctionnement du parti socialiste, qu’elle congédie Vincent Peillon de la tête du courant EAG et qu’elle nomme à sa place trois “proconsuls” pour assurer une sorte de dictature à la romaine, le temps qu’elle laisse passer les régionales et qu’elle prenne le contrôle du courant. On entre dans un état d’exception, voire dans une situation de scission, les cadres élus au dernier congrès n’entendant pas laisser passer un tel déni de démocratie. La liste des trois personnes choisies par Ségolène est riche d’enseignements. Jean-Louis Bianco, figure mitterrandienne respectée et « sage » incontesté ; Gaëtan Gorce, décrit comme un intellectuel du parti ; Najat Belkacem, pour la touche féminine, jeunesse, et diversité. Des personnalités symboliques, donc, mais qui ne représentent pas le soutien de grosses fédérations, ou de gros contingents de militants. Ce qui renforce le sentiment d’un coup de bluff de l’ex-candidate, et surtout de son isolement.

Séquence 7 : et maintenant ?

Les prochains jours devraient permettre de voir plus clair dans ce chaos politico-médiatique. Une chose est sûre : Ségolène a remobilisé ses inconditionnels et notamment les adhérents de Désirs d’Avenir, très présents sur Internet, même s’il est difficile de savoir si cette suractivité virtuelle se traduit concrètement sur le terrain. Le réflexe de protection et de regroupement autour de la président du Poitou-Charentes a fonctionné à plein, comme à la belle époque de la présidentielle. Mais n’est-ce pas un regain trompeur, et surtout à moyen terme mortel ? Pour l’opinion extérieure au parti, Ségolène Royal, jusque là préservée des turpitudes d’appareil, a plongé à pieds joints dedans. Plus embêtant, elle a pris ce tournant au moment où s’amorçait enfin une initiative d’utilité publique de regroupement de l’opposition. En somme, alors qu’une dynamique de dépassement des appareils s’amorçait, elle a donné le signal personnel d’un repli sur des affaires de courant et d’écurie. Enfin, en affichant sa volonté de constituer, ou de reprendre en main, son écurie présidentielle, elle est devenue une présidentiable parmi d’autres au sein du PS, alors que sa grande force jusque là avait toujours été de ne pas être la candidate d’un clan, mais d’un rassemblement de bonnes volontés rénovatrices.

Romain Pigenel


Retour à La Une de Logo Paperblog