Le cerveau ? Serait-ce simplement "une machine, un ordinateur" ?
"C'est ce que nous sommes tentés de croire", constate, pour commencer, cet excellent documentaire canadien, dans lequel notre guide sera le professeur Norman Doidge, grand spécialiste de la
question.
Selon lui, la vision de notre maître-organe est en train de se modifier, et cela sous l'espèce d'un "bouleversement révolutionnaire".
On a en effet longtemps pensé que le cerveau ne changeait plus après l'âge de dix huit ans, d'où la théorie classique du "cerveau immuable". Mais, désormais, "il faut totalement revoir cette
conception".
On est en train de s'apercevoir que" le cerveau change sans cesse, à chaque pensée, à chaque sensation". ça a de quoi laisser rêveur, non ?
Le Pr Doidge nous parle des pionniers de la science neurale, inventeurs de ce qui "change tout" : la neuroplasticité.
Derrière ce terme plutôt barbare se cache le fait, étonnant mais incontestable, que "le cerveau n'est pas pré-câblé", qu'il est, au contraire, "malléable".
Aussi inimaginable que ça puisse sembler, on utilise aujourd'hui des machines capables d'aider le cerveau à se recâbler.
Le documentaire nous montre, ainsi, des prothèses pour aveugles qui utilisent la technique de la "substitution sensorielle", partant du principe que "ce que fait le cerveau des sensations, c'est
cela, l'important" et que certaines parties de cet organe peuvent se réorganiser pour traîter d'autres types de sensations que celles qu'elles traîtaient originellement.
La prothèse pour aveugles consiste en une paire de lunettes spéciales équipée d'une mini caméra et reliée à un capteur que l'on a posé sur la langue de l'individu concerné.
Le patient aveugle lui-même nous explique : "ça trace des images dans ma tête".
Voilà qui confirme le fait que "des modules cérébraux censés traîter certaines sensations peuvent en traîter d'autres" et nous y voilà : c'est cela, tout bonnement, la neuroplasticité.
Autre exemple, celui de Sheryl, jeune femme victime d'un trouble de l'équilibre irréversible qui, l'amenant à tomber sans cesse, la faisait vivre dans une pénible "sensation de chute
permanente".
Un membre de son entourage témoigne : "elle tombait constamment, chancelait terriblement, et cela la minait". Elle, pour sa part, nous parle d'"un bruit permanent dans sa tête ou plutôt la
sensation d'un bruit". On a ajusté sur la tête de la malheureuse un casque lui aussi relié à un capteur placé sur sa langue...et Sheryl a appris à bouger de façon à se tenir parfaitement droite. La
jeune femme a retrouvé sa stabilité, pour ainsi dire miraculeusement.
En fait, son cerveau apprenait à se transformer grâce à l'appareil.
"L'appareil a recâblé mon cerveau" admet une Sheryl enthousiaste qui, à présent, roule à bicyclette !
Tout ceci, nous précise le Pr Doidge, a été rendu possible par le grand précurseur que fut le neurologue Paul Bakirita. Ce scientifique, décédé en 2006 d'une tumeur cérébrale (quelle sombre ironie
!) a mis quarante ans pour imposer le concept de plasticité du cerveau, hypothèse plus qu'audacieuse qui s'avère de plus en plus confirmée et qui, pourtant, s'est heurté dans le monde scientifique,
à une très forte résistance.
Barbara Harrow-Smith-Young gère une école de recâblage du cerveau où l'on accueille des élèves souffrant de troubles de l'apprentissage. Cette neuro-plasticienne qui, au départ, souffrait elle-même
de ce type de handicap, nous renseigne sur son parcours pour le moins extraordinaire; jugez-en ; "quand j'étais enfant, déclare-t-elle sans ambage, j'étais stupide. Je croyais avoir un bloc de bois
dans la tête qui m'empêchait d'apprendre". Mais Barbara s'est mise en tête de prendre le taureau par les cornes : elle a identifié la région de son cerveau qui fonctionnait de travers. Puis
ensuite, après avoir entendu parler de la neuroplasticité, elle a eu l'idée géniale de se servir des travaux de Rosensweig et du Russe Luria pour "renforcer, faire travailler le région cérébrale à
problème". Des exercices pratiqués régulièrement lui ont permis d'établir de nouvelles connexions neuronales dans la région atteinte.
A présent, ce qui frappe l'observateur qui visite l'école Harrow-Smith, c'est le calme et la concentration dont font preuve les élèves, lesquels, tès vite, progressent grâce à des exercices
cognitifs ciblés. Le plus remarquable est que "les progrès sont acquis définitivement".
Le travail sur des aires cérébrales est également utilisé par Merzonik dans son établissement, "Fast for Word", qui s'est donné pour objectif de corriger la dyslexie.
"Les dyslexiques, nous apprend-t-il, ont, au départ, des scanners cérébraux très différents de la normale. Le traîtement les rend normaux".
De tels programmes peuvent aussi agir sur les troubles mnésiques, comme en atteste une femme qui fut confrontée à de graves problèmes de mémoire consécutivement à une chimiothérapie
anti-cancéreuse. Il s'avère que le type de traîtement qu'a suivi cette femme peut même venir en aide aux personnes âgées, dont les cerveaux, chacun le sait, sont, hélas, rongés par l'oubli.
Il faut savoir aussi, nous dit clairement le Pr Doidge, que "les jeux de développement de la mémoire font augmenter la capacité d'attention". Deux phrases plus générales suivent, qui frappent
l'attention de l'auditeur : "la plasticité existe du berceau jusqu'à la tombe" et "quand nous apprenons, nous changeons la structure du cerveau pour apprendre à apprendre".
Le documentaire, dans la foulée, nous présente un homme de 54 ans qui, suite à un AVC, s'était trouvé paralysé de tout le côté gauche du corps. Cet homme qui, désormais, nous parle en conduisant, a
bénéficié, pour sa part, à Birmingham (USA) d'une nouvelle thérapie, dite du "mouvement induit par la contrainte". Ce procédé consiste à immobiliser complètement le bras resté valide et, ce
faisant, à amener l'autre bras, le membre atteint, à travailler de lui-même. Un tel "modelage fonctionnel" améliore, par toutes petites étapes, des fonctions motrices en amenant la prise en charge
des fonctions perdues par de nouveaux neurones. C'est, finalement, un processus très simple qui est ici à l'oeuvre : " l'utilisation du membre atteint exerce une profonde influence sur le cerveau
et le système nerveux".
A l'origine de cette idée, une expérience de laboratoire : ce que les spécialiste appellent (encore un mot barbare !) la "désaférentation" d'un membre de singe. On s'arrange, assez cruellement,
pour mettre hors service le bras d'un macaque, après quoi on applique une contention à son bras demeuré valide. On constate alors qu'il se met à se servir du bras "désaférenté", qu'il utilisera, à
partir de là, jusqu'à la fin de ses jours !
Appliqué à l'Homme, cette méthode donne des "résultats probants", "spectaculaires" (je retranscris ici les mots qu'emploie l'homme de 54 ans victime d'un AVC dont nous parlions précédemment), de
sorte qu'on peut vértablement parler, sans risquer de se tromper, d'"une révolution en matière de rééducation".
Le Pr Doidge, là dessus, attire notre attention sur ce qu'il appelle "le paradoxe plastique"; "il est, nous assure-t-il, plus facile de suivre toujours les mêmes traces, encore et encore". Par
conséquent, "en éxécutant des tâches répétitives, le cerveau devient rigide et routinier"; c'est ainsi que s'installent les habitudes et, finalement, les réflexes.
Ces relations entre activité cérébrale et comportement ont été mises en relief par un savant du nom de Pascual Leon. D'après celui-ci, des troubles comme l'autisme et le syndrôme d'Asperger
seraient la conséquence d'une hyper plasticité cérébrale, d'une plasticité anormale, excessive (fascinant, n'est-ce pas ?). Toujours selon Pascual Leon, la fameuse hyper-sensibilité qui caractérise
ces deux syndrômes provient d'un cerveau hyper stimulé, d'un "trop-plein de connexions', en somme. On pourrait, suggère-t-il, atténuer cette hyper-plasticité par la stimulation cérébrale.
Mais revenons aux gens dits "normaux", eux aussi sources de grandes surprises : on sait, maintenant, que" le simple fait de penser modifie le cerveau", que "le fait de penser crée de nouvelles
connexions cérébrales", d'où l'utilité des thérapies, qu'elles soient cognitives ou psychanalytiques.
N'oublions pas : "à chaque pensée, à chaque sensation, le cerveau change".
Sur ces fortes paroles, le documentaire aborde un autre cas : celui des amputés confrontés aux fameuses "douleurs fantômes".
Ces douleurs, elles aussi, seraient induites par la plasticité cérébrale.
Là, entre en scène le Pr V.S Ramachandran, véritable "magicien de la neuroplasticité".
Par lui, on apprend que les membres amputés peuvent non seulement donner lieu à des douleurs fantômes, mais aussi, phénomène nettement moins connu, à des sensations fantômes de paralysie.
Il s'explique : si la main manquante n'existe plus, l'aire cérébrale qui lui correspondait existe toujours et peut donc toujours être activée.
Ramachandran nous affirme que "les aires cérébrales correspondant au visage débordent sur celles du bras". Il ajoute : "l'aire cérébrale de la main est adjacente à celle du visage", si bien que,
fort bizarrement, "un effleurement du visage activait l'aire de la main amputée du patient".
Ramachandran nous expose son idée, une idée très indienne : "pourquoi pas combattre une illusion par une autre ?". Dans la pratique, et en application de ce principe, il en est venu à se servir
d'une illusion visuelle (en l'occurrence, un jeu de miroir) pour supprimer, chez l'amputé, l'illusion première de la douleur. Il fallait y penser ! Mais, pour lui, ça coule de source, car, étant
donnée "la très forte intéraction qui existe entre ces aires sensorielles", l'atténuation de la douleur fantôme s'avère intimement liée au rétablissement de ce qu'il nomme la "cohérence
sensorielle".
Ici, Ramachandran met en avant les fascinants neurones-miroirs, dont la fonction est de "dissoudre les barrières entre soi et autrui". En définitive, ce sont eux qu'on met à contribution dans la
guérison des douleurs fantômes.
Pour autant, nous détrompe vite et catégoriquement le professeur, ne fantasmons pas : "la neuroplasticité n'a pas de pouvoirs illimités", et croire que l'on peut faire, par son biais, de tout un
chacun un génie, "c'est n'importe quoi !".
Cela nous amène au problème des limites de la neuroplasticité. Quelles sont-elles ?
Les savants les cherchent.
C'est ainsi que nous faisons la connaisance de Michelle, une jeune américaine qui a eu l'infortune de naître seulement avec la moitié d'un cerveau (à savoir son hémisphère droit). Un autre
spécialiste, Graffman, s'est occupé de son cas (fort heureusement rarissime). D'elle, il nous dit : "le cerveau de Michelle, tout en étant presque normal (puisque, notamment, elle parle), à des
fonctions plus limitées que les nôtres". Elle-même, d'ailleurs, sait fort bien situer sa difficulté : "tout ce qui n'est pas concret", nous affirme-t-elle fermement.
Ce qui s'est produit chez Michelle est tout de même extraordinaire : son hémisphère droit unique a repris à sa charge de nombreuses fonctions qu'aurait dû assurer l'hémisphère gauche s'il avait été
là.
Voici, on l'avouera, qui plaide pour une plasticité incroyable.
Le scientifique l'explique par le fait que son "accident" intra-utérin s'est, par chance, produit avant que la spécialisation des aires de son hémisphère droit se mette en place, ce qui,
ajoute-t-il, "l'a sauvée d'une mort certaine".
Actuellement, on explore, chez Michelle, les limites de la "magie neuroplastique".
Voici venu le temps de conclure. Le professeur Doidge s'y emploie.
Après avoir martelé que nous avions le pouvoir de changer notre cerveau, lequel, d'après lui, se révèle à la fois "plus résilient et plus vulnérable que l'on imaginait", il évoque, en frémissant,
l'avenir où "bien d'autres découvertes nous attendent".
Elles nous attendent.
On les attend.
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Réflexions/réactions inspirées par ce documentaire
Alors, plus l'Homme pense, plus son cerveau se développe ?
La pensée serait-elle une sorte d'effet boule de neige ?
Quand l'Homo Sapiens a-t-il commencé, réellement, à penser ?
Le cerveau est comme n'importe quel autre organe, dans ce sens que si l'on ne s'en sert pas (exemple des "enfants sauvages"), il s'"atrophie".
Qu'y avait-il avant la pensée ? Le cerveau humain. Un cerveau qui se développa, se complexifia grâce à la pensée.
Pensée et cerveau ne font qu'un.
Est-ce le cerveau qui a fait la pensée ou bien est-ce l'inverse ?
On tombe là sur une question digne de celle de la poule et de l'oeuf.
Notre cerveau actuel : glorieux résultat de la bipédie, de l'alimentation carnée, de la cuisson des aliments et, pour finir, de la pensée.
La pensée ne serait-elle pas une sorte de phénomène "accidentel" ?
Le cerveau humain avait-il réellement besoin de la pensée ?
La pensée agit sur le cerveau.
P.Laranco.