La véhémence, le fanatisme et les récriminations qui se sont ouvertement exprimés dans les médiats et dans les rues en Algérie, en Egypte et au Soudan [le pays hôte où se jouera le match décisif] révèlent tous la même tendance. C’est l’aboutissement logique du nationalisme étriqué qui prévaut dans la politique arabe depuis la mort de Gamal Abdel Nasser, l’ancien président Egyptien.
Il existe deux formes de nationalisme dans le monde arabe. Le premier est le nationalisme arabe au sens large (souvent appelé panarabisme en Occident) qui vise à unir les Arabes dans un seul Etat.
C’était la vision de Nasser; il avait mobilisé les Egyptiens et les Arabes derrière les slogans de l’unité et de la fraternité arabes. Son projet, cependant, représentait une menace pour tous les régimes arabes; même le parti nationaliste arabe Baas s’inquiétait des plans de Nasser parce qu’ils signifiaient leur perte du pouvoir en Syrie et en Irak.
Ce parti était plus intéressé par la préservation de son pouvoir dans des régimes confinés à la Syrie et à l’Irak que par servir les objectifs de sa propre idéologie.
La rhétorique nationaliste
La rhétorique nationaliste arabe touchait une corde sensible: Nasser devint le seul et indiscuté leader du peuple arabe, prêchant par-dessus la tête de la plupart des dirigeants Arabes. Mais son projet n’était pas le seul à exister dans la région: l’Arabie Séoudite et ses alliés proposaient une alternative dans laquelle les Arabes vivaient installés dans les limites de leurs propres petits (ou grands) Etats.
On parle de ce modèle comme de celui d’un nationalisme étroit (nationalisme qutri en arabe). Il était, bien sûr, plus séduisant pour les régimes parce qu’il signifiait la préservation des frontières à l’intérieurs desquelles ils gouvernaient.
La mort de Nasser avait créé une occasion en or pour les partisans du nationalisme qutri. La parti Baas, qui n’était pas conséquent concernant l’unité arabe, se scinda en branches syrienne et irakienne, et la querelle qui s’ensuivit entre les deux factions devint une des plus âpres et des plus violentes de l’histoire politique arabe contemporaine.
Anouar Sadate, le successeur de Nasser, voulait écarter l’Egypte de toute préoccupation arabe et souhaitait parvenir à un accord de paix avec Israël. C’était un accord qui permettrait d’aligner son pays avec les Etats Unis et dégagerait l’Egypte des responsabilités arabes dans le conflit avec Israël.
Il revint à une forme de nationalisme étroit et chauvin basé sur l’identité pharaonique. Ce genre d’idées existait en Egypte avant la révolution de 1952 et il leur insuffla une nouvelle vie lors de son arrivée au pouvoir.
Elles cadraient avec ses plans de paix avec Israël; l’idée de la supériorité égyptienne vis-à-vis des tous les Arabes lui étaient assez utiles pour expliquer l’isolement enduré par l’Egypte après son voyage en Israël.
Pour rompre franchement avec le passé, Sadate attaqua la Libye sans sommation et ce sont les pressions des Etats Unis qui lui firent cesser son agression avant qu’elle ne dégénère en guerre régionale.
Retour à l’antiquité
Mais il serait injuste d’imputer au seul Sadate ce nationalisme étriqué – tous les gouvernements arabes lui ont emboîté le pas en se référant à la période antique pour instiller un sentiment de supériorité chez leurs populations.
Au Liban, la parti phalangiste avait été complètement vaincu pendant la guerre civile, mais ses idées nationalistes ont essaimé dans diverses sectes libanaises. Dans le même temps, le nationaliste arabe Saddam Hussein invoquait des images, des symboles et des événements de l’histoire ancienne et préislamique de l’Irak.
L’explosion toute récente des télévisions arabes satellitaires n’a pas servi à unifier les Arabes mais à les enfoncer encore plus dans leurs retranchements. Les points de différence ont été renforcées tandis que les points communs entre Arabes ont été rejetés avec constance, tout particulièrement dans les médias arabes contrôlés par les Séoudiens (la majeure partie des médias arabes est contrôlée directement ou indirectement par la famille royale séoudienne et ses affiliés dans le monde des affaires).
Les spectacles sportifs et la pléthore de concours musicaux ont été conçus pour mettre en relief les différences entre Arabes et inciter les spectateurs à se rallier derrière le drapeau de leurs pays. Les médiat séoudiens mènent toujours une bataille contre Nasser; l’humiliation subie par la famille royale séoudienne suite à sa politique n’a jamais été oubliée ni pardonnée.
Un document qui avait divulgué à la presse états-unienne montrait que le Pentagone prévoyait de lancer une version irakienne du célèbre programme télévisé American Idol en vue de contribuer à instiller un sentiment de nationalisme irakien. Il est clair que ces rivalités sportives et artistiques ne sont pas aussi spontanées qu’on veut bien le croire.
Au contraire, elles résultent de décennies de mobilisation et d’agitation encouragée par les Etats derrière le drapeau de chaque pays arabe. Qu’elle se soit traduite elle-même en violence est à vrai dire une indication que le nationalisme qutri a fonctionné, jusqu’à un certain point.
Le culte du sport dans les médias arabes est un autre facteur dans ce phénomène. Les sports sont une distraction inoffensive pour le peuple; les régimes aiment mieux que leurs peuplent regardent des spectacles sportifs plutôt que les scènes quotidiennes d’oppression et de carnage en Palestine, par exemple.
Une moindre attention à la politique
Cette culture des « arts » et du sport a été créée pour réduire la vigilance politique de l’opinion. Les médias arabes consacrent énormément de temps et de ressources à la couverture du sport, singulièrement aux performances des équipes nationales.
Ce chauvinisme étroit qui associe la fierté nationale à la victoire des équipes nationales est devenu un élément de base des politiques de ces régimes.
La bataille sur Facebook entre amateurs de football Algériens et Egyptiens révèle à quel point la jeunesse arabe est réceptive au paradigme nationaliste. La performance des équipes a un effet d’image sur la réputation des régimes eux-mêmes.
Cela participe à expliquer pourquoi des princes de haut rang dirigent des équipes de football dans certains pays arabes. Saddam [Hussein] avait installé son propre fils à la tête du Comité Olympique Irakien. Et Jibril Rajub, un des anciens responsables de la sécurité de Yasser Arafat, dirige actuellement le comité palestinien du football.
Tout ce qui touche au sport est politique dans le monde arabe, ce qui rend le sport dangereux et potentiellement violent.
Angry Arab (traduit par Djazaïri)