Note album : 7/10
Il y a ceux dont on parle et les autres. Ces anonymes qui se succèdent. Ils rappellent cette chanson des Innocents, Un homme extraordinaire. Tout en eux évoque la normalité, le quotidien dans sa banalité la plus lisse, l'ennui d'une vie trop bien réglée. Pas évident de parler de ces gens, aussi extraordinaires soient-ils.
Et quand vient un disque à l'image de ces gens, on préfère tout simplement le passer sous silence, le balafrer d'une neutralité incompatible avec la norme rock'n'roll. Car finalement, cette indifférence est bien pire qu'une chronique estampillée "nullité crasse", qui a au moins le mérite de susciter un sourire amusé ou de véhémentes protestations.
Alors, c'est sûr, 23 de Blonde Redhead ne provoquera aucune émeute. Le trio italo-nippon, formé à New York et nimbé d'une brume underground du meilleur goût, s'avère bien trop raffiné pour déchaîner les passions. Les commentaires enflammés n'afflueront pas par dizaines au bas de ce texte, aucun djeun ne viendra bavocher une prose indignée en gloubiboulga SMS. Les exégètes pop garderont leurs références absconses pour d'autres causes plus nobles. Quant aux fashion victims de base, ils jetteront une oreille distraite à ce disque, avant de volontairement salir et de trouer leur paire de Converse, histoire de faire croire qu'ils ont assisté à tous les festivals branchés.
Je ne me souviens même pourquoi j'ai acheté ce disque. Peut-être grâce à cette jolie chronique poétique parue sur Pop-Rock. D'un point de vue purement esthétique, j'aime bien la Suzanne Lenglen quadrupède de la pochette, posée sur ce joli fond bleu ciel un peu passé, qui me rappelle ces glaciales journées scandinaves, où le soleil brillait sans rien réchauffer. Malheureusement, l'intérieur jaune pastel jure outrageusement avec cette douce teinte céleste…
Que dire de plus ?
Si ce 7è album de Blonde Redhead était une femme, ce serait assurément une femme extraordinaire. Une de ces femmes parfaites, qui mènent leur vie comme un travail de tous les instants, sans jamais déprimer ou rechigner. Les femmes extraordinaires soignent leur apparence au millimètre près, ne laissent aucun cheveu dépasser de leur casque capillaire. Elles n'écaillent jamais leur vernis à ongle, préparent les goûters de leurs enfants avec un amour maternel tout à fait sincère et touchant, repassent le linge de leur mari par abnégation familiale. Elles s'accomplissent professionnellement dans le dévouement hiérarchique et ont invariablement des amies calibrées pour leur ressembler comme des œufs dans une boite de 12. Bref, les femmes parfaites ont beau être dotées de toutes les qualités du monde, elles n'en restent pas moins désespérément trop lisses pour véritablement retenir l'attention. En fait, 23 évoque l'album de Charlotte Gainsbourg en plus réussi. Les mélodies sont souvent enchanteresses (23, Silently) et l'exquise voix nippone de Kazu Makino, aussi exotique que lointaine, insuffle un calme mystérieux à chaque titre, dont aucun ne sort vraiment du lot à part le très beau Top Ranking. Le reste se situe dans une douce veine pop, calme et élégante, que l'on écoute souvent sans trop entendre, même si Dr Strangeluv ou The Dress retiennent l'attention grâce à leur perfection désincarnée. Mais cela ne suffit malheureusement pas à propulser ce disque très souvent sur la platine, à part pour un dîner entre gens extraordinaires.
Classe : "23", "Top Ranking", "Dr Strangeluv"
Crasse : "Publisher"
En bonus, "23" en live