Jacques Parizeau
Belle-mère. Ce mot m’a toujours dérangé, m’a toujours fait tiquer lorsqu’il est employé par les analystes politiques, les journalistes, voire même certains militants, pour qualifier les anciens premiers ministres – spécialement – du Parti Québécois. Hier soir, Jacques Parizeau était l’invité de Guy A. Lepage sur le plateau de Tout le monde en parle pour souligner la sortie de son nouveau livre traitant de la souveraineté du Québec. Dès la première minute, et jusqu’à la fin de l’entrevue, quelques petites blagues ont été lancées, ici et là (peut-être candidement), du genre : « C’est bien la première fois qu’une belle-mère admet ne pas savoir quelque chose (référent à la situation de l’ADQ) », etc. Je crois qu’il est grand temps, chez les médias et chez les militants politiques, de reconnaître ce que sont ces anciens premiers ministres : des hommes d’État que nous ferions bien d’écouter plus attentivement lorsqu’ils s’expriment sur la place publique.
Le devoir de s’exprimer
Nous sommes frappés d’une étrange maladie du mutisme au Québec et même au Canada qui fait en sorte que l’on exige des anciens leaders politiques, sous couvert de cohésion et de respect du parti, un mutisme presque total sur les dossiers d’actualité. L’on apprécie de les voir publier quelques années après leur retraite leurs mémoires, on célèbre leur contribution, on aime à se faire photographier à leurs côtés ou se faire dédicacer leur pavée, mais cependant: silence sur les vrais enjeux ! Pourquoi cela ? Il n’est pas rare de voir, en France notamment, d’anciens ministres, d’anciens premiers ministres écrire, s’exprimer publiquement pour marquer leur désaccord avec des politiques gouvernementales, ou commenter certaines réalités sociales et politiques sans que cela ne surprenne qui que ce soit. Cela vient enrichir le débat, proposer de nouvelles perspectives au lieu de le laisser péricliter. Lorsque l’on a marqué la vie publique et la scène politique du Québec pendant plus de 30 ans comme l’ont fait les Bernard Landry, les Jacques Parizeau ou les Lucien Bouchard (ou encore n’importe quel ministre des précédents gouvernements du PLQ ou du PQ), le prétendu « devoir » de réserve à mon sens ne tient pas la route. Au contraire, ces hommes ont avant tout un devoir de parole, un devoir de s’exprimer. Et heureusement, au grand déplaisir de certains, ces anciens leaders ne s’en privent pas ! Bernard Landry tient hebdomadairement une chronique dans le magazine La semaine, Lucien Bouchard s’est déjà exprimé par le biais du manifeste des « lucides » et Jacques Parizeau n’hésite jamais à commenter l’actualité économique ou politique du Québec comme en témoigne son dernier livre. Ces anciens politiciens ont contribué, depuis l’époque de Jean Lesage pour plusieurs, à façonner le Québec moderne et ont été de toutes les réformes majeures qu’a connu notre État. Que l’on pense à la création de la Caisse de dépôt, à l’adoption de la Charte de la langue française, aux rondes de négociations constitutionnelles, aux référendums sur l’indépendance, à l’accord de libre-échange, ils ont été de tous les combats. Leur expertise, leur savoir, leur opinion ne peuvent être que bienvenues lorsque l’on considère que les Mario Dumont, les Richard Martineau, les Nathalie Elgrably ou les Stéphane Gendron et Jeff Fillion de ce monde prennent bien souvent le haut du pavé.
Si les coups de gueule de ces hommes politiques peuvent parfois remettre sur les rails des partis qui s’égarent, secouer l’opinion publique ou sortir de leur confort des militants qui croient à la vérité infuse sur laquelle ils se reposent, alors bienvenue messieurs ! Vivement leurs éditoriaux, leurs prises de position et leurs essais ! Pour moi, que l’on soit souverainiste ou non, jamais je n’oserai utiliser ce mot à la limite du mauvais goût, voir du mépris, qu’est le mot « belle-mère » pour qualifier des hommes qui ont fait plus en quelques années pour le Québec que tous les scribouilleurs de journaux ou les prétendus leaders d’opinion n’en feront jamais dans toute leur vie. Jacques Parizeau, à 80 ans, avec la force et la lucidité qui sont encore siennes, continue l’engagement politique qui a marqué sa vie et pour cela, il ne mérite qu’un seul titre : Monsieur.
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