Il a vécu et chanté plusieurs années en Russie, il a monté un spectacle avec des artistes de cirque à Cuba, mis en scène Carmen avec des artistes de flamenco, bâti un spectacle avec des amateurs sur la mémoire de la ville d’Ivry, chanté ici ou là. Enregistré à Gênes, ce nouvel album prouve une fois de plus que Nilda Fernandez n’a pas essayé de refaire du Nilda Fernandez ; il a seulement accompli son devoir, "le devoir de renaître, de s’engendrer soi-même." Pas de roublardise marketing ni d’appel du pied aux réflexes des fans : "Je suis artiste depuis la vie et pour la vie", dit-il, ce qui le conduit à mêler l’orchestre de cordes et la guitare flamenca, le ska et l’appel de la Méditerranée, le rock et les échos lointains de l’Est, des réminiscences de gospel et l’accordéon parigot.
Un retour sans aller
Doit-on dire que Nilda Fernandez revient ? Il est si souvent parti, si souvent ailleurs, si souvent de passage qu’il nous a donné l’habitude de le voir surgir comme par surprise, selon un calendrier qui n’appartiendrait qu’à lui. Il n’a jamais posé à la vedette de droit divin, a toujours avancé dans son métier d’artiste avec pudeur et circonspection. Une de ses nouvelles chanson le dit bien : "Je regrette de ne pas être poète ni musicien/Je sais juste avec une guitare entre les mains/Faire un peu la frime aux rimes et aux refrains" (Derrière ma fenêtre).
L’organisation du hasard
Voici donc son nouvel album en français, dix ans après Mes hommages, dans lequel il chantait ses aînés, de Ferré à Polnareff. Mais, depuis, sa vie a été un maelström d’aventures et de création. Il a vécu et chanté plusieurs années en Russie, il a monté un spectacle avec des artistes de cirque à Cuba, mis en scène Carmen avec des artistes de flamenco, bâti un spectacle avec des amateurs sur la mémoire de la ville d’Ivry, chanté ici ou là avec Adamo, Dorval, Mouss et Hakim, Georges Moustaki, Lara Fabian ou la soprano Sylvie Brunet…
Comment qualifier cette trajectoire ? "Hasardeuse", propose-t-il. "Je crois en l’organisation du hasard. Ma vie est difficile à lire parce que, de l’extérieur, on ne sait pas forcément à quoi elle obéit."
Le port de Gênes
Lui seul, peut-être, se retrouve dans ces décrets toujours inattendus qui lui dessinent une carrière hautement singulière : des envies, des défis, des expériences, des ruptures, des départs et des rencontres… Comme il le chante dans Plus loin de ta rue, une de ses nouvelles chansons, "Le monde est en délire et moi je me tire/C’est une façon d’être en avance".
Pour lui, il était donc temps de retourner en studio, temps de donner de ses nouvelles, riche d’un nouveau compagnonnage avec le producteur et directeur artistique Laurent Manganas. Au printemps 2008, Nilda profite d’un concert en Suisse pour rendre visite, quelques centaines de kilomètres plus au sud, à Alan Simon qui mixe un album à la Casa Della Musica, sur le port de Gênes. A l’automne, il y revient poser son sac et ses chansons. Quatre mois avec des musiciens italiens, dont la fameuse Squadra, chœur emblématique de l’art prolétaire du "trallalero". Puis il repart à Paris enregistrer sa voix (et les accordéons de Marcel Azzola ou Lionel Suarez) dans le légendaire studio créé par Bernard Estardy. "C’est difficile d’enregistrer ma voix quand on ne comprend pas mes textes. J’habite non loin de CBE où se trouve encore tout le matériel des années 70. J’ai donc chanté dans le même micro que Joe Dassin, Cloclo, Nino Ferrer et Gérard Manset."
Tango hispano-italo-roumain
Nilda aime ces lieux chargés et denses pour que ses enregistrements soient nourris de vibrations qui conviennent à ses chansons. "Chaque fois, c’est un exercice de style : il faut poser un cadre dans lequel tout doit rentrer." Il était bien à Gênes, "ville du présent industriel et d’un passé chaotique, ville un peu glauque, cosmopolite, un peu comme le Barcelone que j’ai connu quand j’étais enfant." Et on entend la ville sur son disque, comme avec cette voix qui lance "tango, tango, un tango español". Nilda sourit : "C’est un violoniste roumain qui joue au pied de la statue de Christophe Colomb à Gênes." Enfant, il était fasciné par une autre statue du découvreur de l’Amérique, le doigt pointé vers l’horizon, face à la mer sur le port de Barcelone.
Donc, ce tango hispano-italo-roumain trouve mille échos dans sa mémoire comme dans ses chansons neuves. On trouve facilement dans celles-ci l’autoportrait d’un Nilda Fernandez qui s’avoue (et même se revendique) infidèle : "Plages de l’Atlantique/Ou falaises de la mer Baltique/Je reviendrai sûrement un jour, je reviendrai/Place de la Concorde/Ou de la révolution d’Octobre/Je vous oublierai sûrement un jour, je vous oublierai". Et, tout autour, "comme des photographies", des petits bruits, des instantanés sonores enregistrés par Nilda : vagues de Méditerranée et mouettes de Vendée, le métro de Moscou (qui a le même son aujourd’hui que celui de Barcelone, jadis), la gare de Milan, des moineaux de plusieurs pays…
Musique du monde et des brindilles
"Faire un album n’est pas du tout naturel. Cette manière de figer la musique est tellement récente dans la musique – cinquante ou soixante ans, ce qui est peu dans la lignée des gens qui chantent. Pour moi, il s’agit de rassembler les choses, de ne pas les laisser éparpillées. Et alors je vois ce que je suis devenu." Il est donc devenu cette musique ouverte, cette musique qui dit tant d’attaches et tant de séparations, cette musique qui trouve ses ferveurs dans mille formes différentes… Une musique qui moissonne romantisme et confessions, mélancolie et jubilation, avec infiniment de tendresse et infiniment de courage. Une musique qui parle de recommencements et d’envols, une musique qui parle du monde entier et de feux de brindilles.
Artiste pour la vie
Nilda Fernandez n’a pas essayé de refaire du Nilda Fernandez ; il a seulement accompli son devoir, "le devoir de renaître, de s’engendrer soi-même." Pas de roublardise marketing ni d’appel du pied aux réflexes des fans : "Je suis artiste depuis la vie et pour la vie", dit-il, ce qui le conduit à mêler l’orchestre de cordes et la guitare flamenca, le ska et l’appel de la Méditerranée, le rock et les échos lointains de l’Est, des réminiscences de gospel et l’accordéon parigot.
Tout lui ressemble, évidemment. Mais tout surprend. Il le dit joliment : "Je ne finirai jamais de justifier mes hasards."
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