Nous avons vu jusque là plusieurs exemples d’application du storytelling en branding, notamment à travers l’article les marques éternelles sont faites d’histoires, mais l’actualité nous offre un prétexte idéal pour étudier le cas Apple qui illustre parfaitement un principe essentiel à l’efficacité d’une histoire. Robert McKee, le gourou des scénaristes, parle de principe d’antagonisme tandis que d’autres auteurs évoquent la notion plus parlante de conflit (voir la médiathèque du storytelling), mais l’idée est la même.
La force d’une histoire réside en effet dans la dualité entre deux valeurs qui s’opposent. Deux valeurs contraires, comme le bien et le mal utilisées dans le schéma classique du conte de fée. Ou deux valeurs fortement contradictoires, comme la créativité et l’uniformité reprises au compte du message de la marque Apple depuis l’introduction du Macintosh en 1984 et un spot publicitaire qui a marqué les esprits.
Sans conflit, pas d’histoire. Imaginez Le petit chaperon rouge sans le grand méchant loup. Imaginez Stars Wars sans Dark Vador. Sans conflit, une histoire ne renferme aucune dynamique. C’est pourquoi, en storytelling, le conflit n’a pas de connotation négative. Parce que la douce harmonie, tant recherché dans la vie, a quelque chose de soporifique si rien ne vient la perturber.
Cela explique peut être pourquoi les gens pour qui tout va bien sont excessivement ennuyeux. Ce qui ne veut pas dire que les gens pour qui tout va mal sont plus intéressants. Non, loin de là. Ces derniers possèdent parfois, eux aussi, le don de vous exaspérer. Alors, dans un cas comme dans l’autre, vous n’avez qu’une seule envie, celle de fermer les écoutilles et saisir la moindre occasion pour vous enfuir : « au fait, je viens juste de me souvenir, j’ai oublié de fermer le gaz à la maison… »
Le conflit devient captivant lorsque deux forces bipolaires s’affrontent, sur un terrain où le vainqueur et le perdant ne sont pas désignés d’avance. Si nous connaissions déjà les résultats sportifs, personne ne se donnerait la peine de supporter son équipe ou son champion favori. Ainsi, la cause défendue par Apple, c’est à dire la créativité, a davantage de chance de remporter l’adhésion si elle doit faire face à une réelle adversité, c’est à dire l’uniformité ambiante. De ce point de vue, le storytelling appliqué au branding permet aussi à une marque de se positionner par rapport à ses concurrents dans l’esprit du consommateur. En énonçant ce pour quoi et contre quoi elle se bat, une marque met en évidence ce qui la distingue de ses rivales. Ou en d’autres termes, ce qu’elle considère comme bien et mal.
La cause peut même devenir plus concrète lorsque le conflit désigne explicitement un concurrent. Et nous avons vu précédemment le pouvoir de la concrétude pour convaincre. C’est pourquoi les publicités comparatives sont aussi efficaces (et aussi réglementées). C’est pourquoi également Apple a, d’une certaine manière, besoin de Microsoft pour rendre son modèle d’histoire plus fédérateur. Car Microsoft, du fait de sa position dominante sur le secteur de l’informatique personnelle, constitue une représentation concrète de l’uniformité contre laquelle Apple se bat. Et pour le consommateur, le message devient alors plus clair.
Ainsi, il n’est pas surprenant que la campagne de communication Get a Mac, commencée en mai 2005, soit entretenue par de multiples épisodes tous les ans (les derniers datent de mai 2009). De toute la saga publicitaire Apple, c’est sans doute la campagne qui exploite le mieux la mécanique du conflit. Parce qu’au delà du ton humoristique qui tranche catégoriquement avec le spot de 1984, elle réussit à rendre la cause et son ennemi physiquement concrets, via leur personnification. Et l’arrivée du « Windows phone » en concurrent sérieux de l’iPhone pourrait bien allonger la série, pour notre plus grand plaisir. Alors, au cas où, pour s’y préparer, ou juste pour le fun, voici une compile des évènements précédents :