Union sacrée en Algérie derrière l’équipe nationale de football

Publié le 17 novembre 2009 par Adel Miliani

REUTERS/ZOHRA BENSEMRA

Ils ont confondu le hall bondé de l’aéroport de Khartoum avec une tribune de stade. Rien de grave : ici, au Soudan, les supporteurs algériens semblent être chez eux. Le contrôle du passeport se transforme en séance photo avec les douaniers. Dehors, une dizaine d’adolescents acclament plus de deux cents Algériens. Et eux ? Ils embrassent les plus vieux, enlacent les enfants… Dans les rues ternes de la capitale, entassés dans les taxis, les fans maghrébins sont reconnus, klaxonnés, encouragés par les Soudanais : “Allez l’Algérie ! Faut battre l’Egypte !”

Lundi 16 novembre, 21 heures. Une jeunesse surexcitée vient de débarquer d’Alger dans l’un des trente vols affrétés par Air Algérie. La compagnie aérienne prévoit d’acheminer plus de 7 000 supporteurs vers Khartoum où doit se dérouler, mercredi 18, l’ultime rencontre entre l’Algérie et l’Egypte. Le vainqueur ira au Mondial en juin. Les prix des billets – pris d’assaut dans les agences d’Alger – ont été divisés par plus de quatre, bradés à 20 000 dinars (200 euros), ce qui représente quand même l’équivalent d’un mois de salaire.

Hamine Bakha aurait tellement voulu voir son équipe nationale vaincre les Pharaons, samedi 14. Au Caire, “j’ai vécu plus que l’enfer “, explique ce commerçant de 26 ans, maillot de l’AS Saint-Etienne sur les épaules. A la presse algérienne, à d’autres supporteurs, il raconte comment il s’est fait “chasser” à la sortie du stade, “caillasser” dans le bus. “Des Egyptiens nous ont balancé des fumigènes, on aurait pu brûler dans ce bus.” Air Algérie lui a offert le billet.

“ON LES A ACCUEILLIS AVEC DES FLEURS”

Dans l’avion, entre deux chants et les youyous des hôtesses, on décortique les journaux. On lit et relit en français, en arabe, les articles consacrés à ces supporteurs morts à la sortie du stade – les autorités algériennes démentent -, à cette femme déshabillée devant un soldat égyptien, aux joueurs blessés, aux drapeaux brûlés, on apprécie ces éditos qui rappellent que l’Algérie était venue épauler son “frère” lorsqu’il était en guerre contre Israël.

“Quand les Pharaons sont venus jouer à Blida, en juin, on les a accueillis avec des fleurs”, martèle Mohamed Kouchik, 23 ans, un supporteur qui a passé la nuit à l’aéroport d’Alger pour arracher un billet. Pour beaucoup de jeunes, le match ne sera pas sur la pelouse, mais dans les rues poussiéreuses de Khartoum. “Vengeance”, réclament-ils. “On va leur faire le double, le triple de ce qu’ils nous ont fait”, lance un autre. Le gouvernement soudanais a mobilisé 15 000 policiers prêts à intervenir en cas de débordements avant, pendant et après la rencontre. Sur les 41 000 places du stade d’Omdurman, 9 000 seront réservées aux publics des Fennecs, autant pour les Pharaons.

Mais tous n’espèrent pas une bataille rangée. “Je ne suis pas pour la vengeance, riposte Hadjassa Boudjemaa, 28 ans, un ingénieur. Si on doit les taper, ça sera sur le terrain : nous ne sommes pas des Egyptiens.”

La jeunesse – sur les 35 millions d’habitants, 35 % de la population à moins de 25 ans – est “amoureuse” de son équipe nationale. Les Fennecs sont une morphine pour “oublier la misère” du pays. Une jeunesse coincée entre la Méditerranée, le Sahara, la “zetla” (le cannabis), le chômage et la prière.

“PAS D’AVENIR ICI”

Lorsque l’Algérie s’était inclinée samedi (0-2) au Caire, Alger avait cessé de vivre. Les jeunes y racontaient leur désespoir. “Tu veux savoir c’est quoi ma vie ?, lançait Adel Kouidri, 18 ans, étudiant en droit. C’est ça ! Tu comprends ? C’est le vide. Il n’y a pas d’avenir ici.”"Si tu n’as pas de piston, tu ne peux rien faire”, jurait Rachid Akouri, 24 ans, au chômage en “CDI”. “L’Etat algérien ne fait rien pour nous, enchaînait Islam Louhadi, 28 ans, chômeur aussi. Il a de l’argent mais pas pour nous. C’est pas grave : on aime l’Algérie.”

Pour Nacer Djabi, sociologue, cette équipe de football peut être “un déclic pour réconcilier les jeunes et le nationalisme”. “Les jeunes sont très critiques contre le système, ils ne croient plus en rien, explique-t-il. Mais si l’équipe nationale gagne, c’est l’Algérie qui gagne.” “Cet élan patriotique spontané a surpris tout le monde, assure l’éditeur Abdallah Benadouda. On pensait que la jeunesse avait tourné le dos à son pays.”

Ainsi, cette qualification pour la Coupe du monde – les Fennecs n’y sont plus allés depuis 1986 – représente un espoir pour cette jeunesse traumatisée par la “décennie noire” des années 1990 où des dizaines de milliers d’Algériens sont morts dans une guerre civile larvée contre le terrorisme islamique. “Le renouveau du football algérien correspond au retour de l’Algérie sur la scène mondiale”, affirme Azzedine Mihoubi, secrétaire d’Etat à la communication. Pour lui, voir flotter autant de drapeaux dans le pays “réaffirme la présence de l’Etat, de la République et de la démocratie, tout ce que les intégristes voulaient détruire”.

L’adhésion populaire aux Fennecs leur a valu le surnom “d’équipe du consensus national”. Tous les Algériens sont considérés sur le même plan, même ceux qui sont nés en France. C’est le cas de 14 joueurs – sur 25 – de l’équipe d’Algérie. Et ceux qui ne parlent pas arabe ? C’est pardonné. Hassan Yebda et Mourad Meghni avaient même gagné la Coupe du monde des moins de 17 ans en 2001 avec… les Bleus. “Les immigrés sont aussi des Algériens”, assurent en choeur les supporteurs. Comme le rappelle le sociologue Nacer Djabi : “Le pays a rarement été aussi uni.”

Mustapha Kessous/ LE MONDE

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