Le 27 septembre 2009, notre ministre de la Culture et de la Communication, Frédéric Mitterrand, se déclarait "stupéfait" par l'arrestation en Suisse du cinéaste Roman Polanski, citoyen français. Il démontrait ainsi qu’il avait à cœur de prendre la défense de n’importe quel artiste de notre cher pays. Il osait aussi critiquer la justice d’un pays étranger, affirmant : « de la même manière qu'il y a une Amérique généreuse que nous aimons, il y aussi une certaine Amérique qui fait peur, et c'est cette Amérique-là qui vient de nous présenter son visage ». Quel sens des responsabilités, quel témoignage de solidarité nationale et quelle audace, susceptible de mettre en péril notre amitié avec les Etats-Unis d’Amérique ! Admirons la vigueur de cette accusation, tout autant imprécise que dépourvue de justifications.
Quittons l’outre-Atlantique pour regagner notre douce France où sévissent des citoyens et élus tel Eric Raoult. Celui-ci, maire UMP du Raincy et député de Seine-Saint-Denis, suite à une interview de Marie Ndiaye, publiée en août dans Les Inrockuptibles, a transmis début novembre une question écrite au ministère, dans laquelle il en appelle au « devoir de réserve dû aux lauréats du prix Goncourt». Serait-il possible à un simple citoyen de signaler à ce pas si honorable parlementaire que ladite lettre manque précisément à ce devoir de réserve dû aux lauréats ? A moins que cet amoureux de la littérature, dans la spécialité « flagorneries diverses », ait voulu écrire devoir de réserve dû par les lauréats ?
Madame Marie Ndiaye a demandé à notre Ministre d’intervenir. Bien moins offensif que vis-à-vis de la justice d’un pays ami, Frédéric Mitterrand s’est réfugié dans une piteuse abstention : « je n’ai pas vocation à devenir le bureau de tous les pleureurs et de toutes les pleureuses », à propos d’affaires « dont c’est mon droit d’estimer qu’elles ne sont ni cruciales ni déterminantes pour la liberté en France aujourd’hui, et pour la liberté tout court ». Précisément, non. Ce qui peut être le droit d’une personne privée n’est pas celui du patron de la Culture en France. Il considère cet incident comme futile : « on n’est pas sorti de ce genre de polémiques que, encore une fois, j’insiste, je trouve un peu dérisoire ». Se fixerait-il comme objectif de rapprocher la France de modèles comme la Tunisie du Président Ben Ali ou la Chine de Hu Jin Tao ?
Il prétend qu’Eric Raoult (il devient décidément inconfortable dans ce pays de se prénommer Eric) n’a fait que lui poser une question. Erreur grossière, M. Raoult a bel et bien sollicité une intervention, lui demandant : « de lui indiquer sa position sur ce dossier, et ce qu'il compte entreprendre en la matière ».
Pour quelqu’un qui entend préserver sa vie privée, l’argumentation en faveur de M. Raoult est troublante : « Ce n’est pas un ami mais un proche, un homme chaleureux qui, dans les deux mois qui viennent de s’écouler, s’est révélé, dans la majorité, un des plus gentils et des plus offensifs pour prendre ma défense ». Entendez : je ne saurais condamner dans l’exercice de mes fonctions un homme qui m’a défendu à titre personnel. Le voila bien, l’homme de la mauvaise République !