Acte I : La banalisation du crédit immobilier
Depuis les années 1990, sous l’effet de la déréglementation financière (suppression des nombreuses formules de crédits administrés) et de la pression concurrentielle accrue, les banques mènent une politique volontariste de modération
tarifaire pour conserver leurs parts de marché et attirer les clients.
Le crédit immobilier est ainsi devenu l’un des principaux instruments de conquête et de fidélisation de la clientèle. Pour compenser la faible rentabilité de ce produit d’appel, les banques ont créé des packages pour les projets d’acquisition ou d’investissement locatif. Les formules comprennent, en complément du financement, des produits plus rentables tels qu’une assurance multirisque habitation, une garantie des loyers impayés, un crédit à la consommation pour financer les frais d’installation ou encore, depuis peu, des diagnostics techniques[1].
Néanmoins, l’innovation par l’offre n’est pas différenciante entre les établissements car les produits et services proposés sont facilement transposables. Les banques ont donc cherché à se départager par le niveau d’intégration de certaines activités bancaires et extra bancaires dans la chaîne de valeurs immobilière.
Acte II : La frénésie de l’immobanque[2]
Encouragée par la conjoncture économique soutenue, la plupart des grands réseaux bancaires ont investi ou renforcé leur présence sur la filière immobilière depuis 1999 à la recherche de nouveaux relais de croissance. Le jeu de la concurrence s’est essentiellement déplacé vers l’amont de la chaîne de valeurs : les promoteurs et les sociétés de services immobiliers sont devenus des cibles de choix pour les banques.
La plupart des établissements bancaires (mise à part la Société Générale) ont ainsi adopté une stratégie de croissance externe en réalisant des acquisitions dans le secteur de la promotion et en prenant position dans les transactions immobilières ainsi que dans l’administration de biens. En effet :
- Le secteur de la promotion est porté par une demande structurellement forte qui contraste avec la saturation du marché de la banque de détail.
- Dans un contexte de hausse des prix de l’immobilier, le secteur de la transaction présente des perspectives de revenus élevés, liés au montant des transactions réalisées et ce secteur permet également de rentabiliser le réseau de distribution via des ventes croisées.
- Le secteur de l’administration de biens a l’avantage de générer des revenus récurrents relativement peu sensibles aux éventuels retournements de cycle du fait de la nature captive de la clientèle.
La cartographie ci-dessous représente le résultat actuel de cette vague d’achat. On peut constater que les banques et surtout les mutualistes ont largement intégré les activités amont de la chaine de valeur.
Acte III : La crise de l’immobilier
A partir de 2007, les performances exceptionnelles ont laissé place à l’éclatement de la bulle immobilière. Les services immobiliers dont les honoraires présentent un caractère pérenne et récurrent tels que la gestion locative et l’administration de biens ont résisté mais le rythme des transactions et des mises en chantier ont fortement diminué. Cela a provoqué une prise de conscience de la part des banques qui ont réagit en :
- Stoppant les opérations d’acquisitions ou de participations dans la filière immobilière ;
- Fermant certaines agences immobilières (le retournement du marché a même conduit le Groupe Crédit Mutuel à céder la franchise Avis Immobilier en octobre 2008) ;
- Restructurant leurs activités pour favoriser la cohérence et la lisibilité des différents métiers ;
Par ailleurs, les acquéreurs ont constaté qu’ils n’avaient pas pu (pour des raisons réglementaires ou de gouvernance) ou pas réussi à opérer les synergies qui étaient annoncées et attendues entre les métiers de la Banque et de l’Immobilier.
Acte IV : De nouveaux modèles à inventer
La crise de l’immobilier a largement freiné les ardeurs des Banques. Pour autant, elles doivent adapter leur modèle de distribution à l’essor des courtiers.
En effet, la part de marché du courtage n’a cessé de progresser ces dernières années au détriment des canaux bancaires traditionnels pour se situer actuellement autour de 22 % des crédits octroyés en France. Cette évolution traduit une tendance de fond comme en témoigne les autres marchés européens où les courtiers captent 30% des parts de marché en Allemagne, 55% en Espagne, 60% au Benelux et même 66% en Grande-Bretagne. Ce chiffre atteint prêt de 70 % aux Etats-Unis.
Les courtiers vont donc encore grappiller des parts de marché aux Banques en France empochant au passage les commissions d’apporteur et réduisant d’autant les marges des banquiers.
La tentation de maîtriser les activités en amont de la chaine est donc toujours bien présente. A cet effet, les banques peuvent acquérir des courtiers comme l’a fait la Caisse d’Epargne avec meilleurtaux.com. Toutefois, cette stratégie remet en cause l’indépendance indispensable des courtiers et génère donc un risque commercial non négligeable (ce qui pourrait expliquer en partie les difficultés actuelles du courtier en ligne). L’autre alternative, réside dans la mise de place de partenariats comme le font plusieurs réseaux en développant des espaces financement dans les agences immobilières par exemple.
Certaines Banques intègrent même complètement l’ensemble de la chaine, de bout en bout, en proposant de nouveaux « espaces immobilier » qui réunissent, en un lieu unique l’ensemble des interlocuteurs utiles aux clients pour leurs projets immobiliers.
Ces « mégastores immobilier », virtuels ou physiques, pourraient bien constituer la réponse des banques pour éviter l’érosion.