J’évoquais hier le « corps à corps » mis en scène par la troupe qui jouait « Britannicus », et c’était sans évoquer le parti-pris du décor. Pas de grande pompe pour ce palais impérial, mais une simple structure métallique figurant une sorte de terrasse en surplomb et un escalier en fer descendant vers l’estrade de plain-pied avec les spectateurs.
Tout ce métal était propice à l’exercice de barre-fixe... Le cœur tourmenté et le corps gymnase trouve un espace de déchainement tout au long de ce parcours du combattant qu’est le piège tragique... Qu’on écoute en illustration à cette « rage au corps », la merveilleuse tirade de la passion naissante de Néron pour Junie : c’est au début de la pièce lrosque Néron évoque le coup de foudre qu’il a ressenti en présence de la fiancée de Britannicus qu’il a ravie...
Excité d'un désir curieux,
Cette nuit je l'ai vue arriver en ces lieux,
Triste, levant au ciel ses yeux mouillés de larmes,
Qui brillaient au travers des flambeaux et des armes,
Belle, sans ornement, dans le simple appareil
D'une beauté qu'on vient d'arracher au sommeil.
Que veux-tu ? Je ne sais si cette négligence,
Les ombres, les flambeaux, les cris et le silence,
Et le farouche aspect de ses fiers ravisseurs,
Relevaient de ses yeux les timides douceurs.
Quoi qu'il en soit, ravi d'une si belle vue,
J'ai voulu lui parler, et ma voix s'est
perdue :
Immobile, saisi d'un long
étonnement,
Je l'ai laissée passer dans son
appartement.
J'ai passé dans le mien. C'est là que
solitaire,
De son image en vain j'ai voulu me
distraire.
Trop présente à mes yeux, je croyais lui
parler,
J'aimais jusqu'à ses pleurs que je faisais
couler.
Quelquefois, mais trop tard, je lui demandais
grâce ;
J'employais les soupirs, et même la
menace.
Voilà comme, occupé de mon nouvel
amour,
Mes yeux sans se fermer, ont attendu le
jour.