Version non expurgée de ma dernière chronique ciné pour KBS.
Le film « Good morning President » a fait l'ouverture du Festival de Pusan cette année. Enorme succès en salle, notamment en raison de la présence de la star Jang Dong-gun, ce film riche et dense est en effet un merveilleux festival, qui nous parle tout à la fois de politique, de relations internationales et amoureuses, et de cuisine ! Surtout celle aux navets...
On sait les Coréens grands amateurs de dramas, ces feuilletons télés à succès exportés dans toute l'Asie. Pour son tout dernier film, le réalisateur Jang Jin (par ailleurs scénariste de talent, notamment du très réussi « Welcome to Dongmakgol »), s'est sans doute dit que puisqu'il tournait pour le grand écran, un drama quelconque ne suffirait pas. Il a donc eu l'idée géniale de faire un drama, certes, mais un drama avec des... présidents. Pas moins de trois présidents, d'ailleurs, plus il y en a, mieux c'est. Trois chefs d'Etats comme vous et moi, de braves Coréens moyens arrivés là on ne sait trop comment.
Il y a tout d'abord le premier président, un gentil papy bonhomme qui est tout content parce qu'il vient de gagner à la loterie. Il y a ensuite le beau jeune homme célibataire, président lui aussi bien sûr, secrètement amoureux de la fille du premier. Puis il y a – vous noterez comme les scénaristes ont pensé à tout – l'ajumma présidente, ben quoi, elles ont pas le droit d'être présidentes, les ajummas ? Nos trois personnages ne sont pas présidents ensemble, attention, ils sont élus les uns après les autres : les scénaristes, fins experts politiques, ont à l'évidence décidé d'ancrer leur histoire dans un réalisme sans concession.
Alors bien sûr, comme dans tout drama digne de ce nom, il y aura des disputes, des moments de vérité, des réconciliations, des déclarations en public, toute la panoplie est là, au complet. Parlons un peu du beau jeune homme président, puisque c'est lui la star du film. Tous les événements de son emploi du temps que je vais maintenant vous citer par le menu sont vraiment dans le film, je n'invente rien, promis, juré, tout est vrai.
Lundi : les Japonais attaquent la Corée. Une sacrée déveine tout de même, après 60 années plutôt pacifiques, paf, une petite invasion surprise. Mardi : le beau président se lève très tôt pour discuter en visioconférence avec un prof d'anglais d'Itaewon, qui tente de se faire passer pour le président des Etats-Unis. Mercredi : C'est jour de marché. Le président qui s'y promenait échappe à un attentat. Jeudi : le président est généreux. Il donne son rein à un pauvre. Vendredi : les Japonais attaquent toujours. Vous les aviez oubliés ? Pas le président, qui rencontre l'ambassadeur japonais pour rigoler un coup, et se moquer de son accent ridicule. C'est vrai qu'il a une voix de canard, cet ambassadeur. Samedi : le président met au point un plan infaillible contre les Japonais : il décide courageusement d'affronter les Etats-Unis et de s'allier avec la Corée du Nord. Dimanche : le plan a fonctionné comme prévu, la paix revient sur la péninsule. Kissinger peut se rhabiller. Les spectateurs applaudissent.
Evidemment, vous allez croire que je me moque. Et bien, pas du tout. « Good morning President », c'est de la psychologie raffinée, la fine fleur du scénario. Les personnages y ont une véritable profondeur. Le beau président est un héros, certes, mais il souffre aussi de graves défauts qui soulignent son caractère très humain : par exemple, il a peur des piqûres, et il pète quand il est nerveux. Voilà qui le rend sympathique. Un trait de caractère qui me permet d'ailleurs d'introduire ma réplique favorite du film : "Quoi, c'est toi qui a pété ?", lâche, shakespearien, le beau président lors d'un interrogatoire.
Quelques minutes plus tard, il nous explique que la vie à la Maison bleue, la maison présidentielle coréenne, est faite de sacrifices, et lance cette tirade qui a fait fondre la salle en larmes : « J'étais entouré des meilleurs conseillers présidentiels possibles, certes. Mais il y a eu tellement de fois où j'ai eu envie de tomber amoureux ! »
Visiblement, il n'avait pas pensé à tomber amoureux d'un conseiller présidentiel.
« Good morning President » est ainsi un film plein de surprises, qui ne saurait vous laisser indifférent. Finissons cette joyeuse chronique avec une petite leçon de vocabulaire. En coréen, et je vous prie de me croire sur parole, on appelle le Président de la République : "kaka" (각하). Personnellement, je n'arrive pas à croire que cela puisse être le fruit du hasard.
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