Pensées critiques sur le web

Publié le 27 octobre 2007 par Christophe Foraison
SOS...SES...Je blogue vous a suffisamment montré en quoi le web représentait une innovation dans de multiples domaines.
Certains me reprochent même d'en faire un peu trop, de céder un peu trop facilement aux arguments de ceux qui pensent que la solution à tous nos problèmes vient du web 2.0:
- je n'ai pas un pouvoir d'achat énorme mais j'ai des besoins, alors les comparateurs de prix, le site de téléchargement peuvent régler en partie cette question,
- j'ai un dossier-exposé à rendre, alors google et wikipédia vont m'aider,
- je suis nul en anglais, j'ai des traducteurs en ligne,
- je veux savoir ce que mes potes font en ce moment, twitter, facebook, msn sont mes alliés...
Bref, il n'y a qu'à demander.
Et comme le disait Bruno Carette à Alain Chabat dans leur fameux sketch sur Hassan Cehef, "oui, oui, c'est possible..."^^ (voir ici pour ceux qui ne connaissent pas...).

Essayons de voir quelles peuvent être les principales critiques adressées à l'utilisation de ces nouvelles technologies.
Dans un esprit de synthèse, j'en ai sélectionné trois. Sans vouloir prétendre à l'exhaustivité, elles me paraissent relativement importantes.


Première critique: le web, en démultipliant les ressources documentaires, n'est pas forcément un meilleur moyen d'apprendre et d'être informé.

Dans l'excellente revue Sciences Humaines d'octobre 2007, une série d'articles sur la pensée internet montrent que les résultats des hypermédias (texte, image, son, vidéo...) sont paradoxaux. Pourquoi ?

   - trop de multimédia pose problème: lire un texte, regarder une image, écouter une conférence puis regarder une vidéo conduit souvent à multiplier les informations qui rend plus difficile la synthèse (repérer ce qui est essentiel, le séparer de l'accessoire).
J'ai remarqué que, lorsque je demande aux élèves d'apporter des documents pour préparer un débat, ils sont très fiers de montrer les nombreuses photos, vidéos...mais souvent ils n'arrivent pas à expliquer l'apport de ces documents au débat ("Cela sert à montrer la violence...." "On voit mieux que...").
Nous avons donc une réflexion à mener sur le multimédia. Je me souviens d'avoir demander à un groupe d'élèves d'écrire sur traitement de texte un article qui utilise le potentiel multimédia des nouvelles technologies. Beaucoup ont plaqué artificiellement une image, un clip, une vidéo sans l'analyser ou sans réfléchir au lien avec le sujet: il s'agissait donc de documents "décoratifs".
Evidemment, après quelques discussions, ce type de comportement a tendance à s'atténuer, mais la tentation est grande de multiplier les documents décoratifs et de ne pas poser les vraies questions à propos de tel ou tel sujet. La forme (décorative) peut l'emporter sur le fond...

   - trop d'informations est contre-productif: on passe, avec l'hypertexte, d'une source à l'autre, à la recherche de l'information souvent en vain.
Cette surcharge informationnelle peut conduire à des situations extrêmes:
"On commence à s'inquiéter de nouvelles formes de pathologie de l'intelligence comme celle des hikikomori(*) du savoir qui s'engouffrent dans des labyrinthes documentaires toujours plus spécialisés où ils se retrouvent seuls, comme absorbés par un trou noir cognitif dévorant tout leur temps et leur énergie." Sciences Humaines, octobre 2007 p.40

(*) En japonais, "emmurés", terme qui désigne les jeunes cyberdépendants qui ont coupé les liens avec le réel et vivent cloitrés dans leur chambre, en occident, on les surnomme les No Life.

Le trop plein d'information a des effets pervers: une pensée brouillée, qui cultive le détail, l'anecdote, qui se concentre sur l'efficacité (documents plus courts, synthètiques de type "fiche de travail") au détriment d'une pensée structurée, qui cerne les enjeux globaux, qui problématise pour tenter de cerner la complexité.

J'avoue que, regarder les élèves faire des recherches sur Google m'est souvent d'une grande utilité.
Certains n'utilisent pas de mots-clés: ils tapent toute la phrase, se retrouvent avec 5 millions de sites, piochent un peu au hasard, puis au bout de 20 mn, commencent à s'énerver: "M'sieur, je trouve rien..."
Il faut donc entamer une discussion sur leur façon de procéder: est-il utile de taper toute la phrase ? Essaye de comprendre comment fonctionne le moteur de recherche...Ensuite, il faut être capable de formuler les mots clés, et faire des choix: faut-il garder celui-là ? faut-il en rajouter d'autres ?

Il s'agit donc bien au départ de cerner l'essentiel: que faut-il que je recherche ? Evidemment, ce n'est pas nouveau, mais beaucoup ont le sentiment que les technologies sont plus complexes donc plus efficaces en soi (cela va plus vite, c'est ludique, il y a plus d'informations, elles sont actualisées, par rapport aux recherches documentaires classiques en bibliothèque par exemple).

                                   Jacques Tati




Deuxième critique: le Web n'est pas aussi démocratique qu'on pourrait le croire.


Ce n'est pas parce que la connaissance ou l'information sont plus facilement accessibles qu'auparavant qu'on peut croire à une égalité devant le savoir ou l'information.
C'est la thèse de Dominique Wolton dans internet,petit manuel de survie: "l'égalité d'accès à la connaissance n'est pas l'égalité face à la connaissance".

Autrement dit, ceux qui savent déjà utiliser ces connaissances et ces informations sont encore très en avance par rapport aux autres qui redoutent d'ailleurs la barrière technique que peut représenter à leurs yeux internet.

Deux exemples concrets, à partir de l'observation des élèves en salle multimédia:

- lors de la formulation des mots clés (qui doivent être synthètiques, précis et s'appuyer sur des concepts), quelques élèves écrivent des mots incorrects dans leur syntaxe ou des mots qui n'existent pas. On se heurte à des problèmes liés à la maîtrise de la langue. Mais ce n'est pas uniquement la langue française. En effet, lorsque les élèves trouvent un document, ils peuvent également se heurter au vocabulaire "technique" utilisé par l'auteur. Je me souviens de deux remarques "spontanées" (comme je les adore) d'élèves de seconde : "M'sieur, j'suis allé sur votre blog, il est super, mais j'ai pas compris grand chose" ou encore, celle d'un élève qui tombe sur un article assez long d'un sociologue contemporain et qui s'écrit "M'sieur, il parle comme vous " ^^.

En classe de première et de Terminale, ces remarques sont beaucoup moins fréquentes, mais elles nous montre l'ampleur de la tâche...

- lorsque on a effectué sa recherche sur Google, quels sont les sites que l'on doit visiter ? Il va bien falloir faire un choix, on ne peut pas aller sur tous les sites.
Petit dialogue:
"- (Moi) Alors, est-ce que tu penses te rendre sur le premier site qui apparait ici ?
 - (Elève) Je ne sais pas... je pense que oui
- Pourquoi ?
- Il a l'air sérieux...
- Qu'est-ce qui te fait penser cela ?
- Ben là...je vois que c'est Le Monde Diplomatique.
- Oui et alors, tu connais ?
- Non, mais il y a le mot diplomatique, cela doit donc être sérieux.
"

On se rend compte de la difficulté de la tâche: comment évaluer la pertinence du site avant de s'y rendre ?
Il faut déjà maîtriser quelques fondamentaux (connaître la presse, des auteurs, des sites institutionnels ou ceux des associations...).
Alors évidemment, on peut laisser les élèves aller visiter ce site: mais le monde diplomatique est un journal très particulier, et il n'est pas certain qu'en visitant le site, le problème soit résolu.


Troisième critique: web = individualisme + communautarisme.

Le web a été crée au départ pour des échanges d'informations entre des élites (militaires ou scientifiques). Il est donc bien adapté pour la communication entre des individus ayant des intérêts en communs.
Cela constitue un ensemble de communautés (regroupement d'individus ayant des intérêts particuliers) et non une société (ensemble d'individus très différents les uns des autres qui acceptent de vivre ensemble en partageant un certain nombre de valeurs).
La crainte est donc que cela peut favoriser l'individualisme et le communautarisme...



Pour prolonger:

- la page personnelle d'André Tricot, psychologue qui a réalisé des recherches sur les apprentissages et la recherche d'information avecdes documents hypermédias

- la page wikipédia sur la fracture numérique

- la fracture numérique existe-t-elle ? Un bon article d'Eric Guichard (INRIA, ENS)



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