Karol Boudreaux et Julian Morris – Le 17 novembre 2009. En Afrique de l’Est c’est encore une histoire de famine menaçante qui fait l’actualité. Et une fois de plus un sommet mondial sur la sécurité alimentaire cette semaine se penche sur les symptômes mais pas sur les causes profondes de la famine. Il est vrai que la cause est en partie le manque de pluies : peu d’agriculteurs Africains ont un système d’irrigation et en Éthiopie 90 % de l’agriculture dépend de la pluie. Mais des agriculteurs dans d’autres parties du monde font aussi face à des problèmes de sécheresse de manière récurrente, mais évitent la famine.
Avant 1800 la famine était une cause ordinaire de mort sur la planète. La plupart des populations vivaient d’agriculture de subsistance. Lorsque les conditions étaient bonnes, elles produisaient assez pour manger assez et constituer de maigres réserves. Si les conditions étaient mauvaises, elles consommaient ces réserves. Si les conditions empiraient, les gens mourraient.
Ce cycle se muta lentement en Europe occidentale avec l’urbanisation et la spécialisation économique qui permit d’échanger des marchandises entre foyers. La production croissait et la concurrence stimulait l’innovation, accroissant d’autant la production. La production agricole augmentait de manière spectaculaire et la famine déclinait.
Deux famines européennes du dix-neuvième siècle représentent des exceptions : celle de l’Irlande de 1845 à 1852 et celle de Finlande de 1866 à 1868. Les deux ont été causées par des États oppressifs qui restreignaient les droits des individus à posséder la terre et à échanger : ainsi l’agriculture de subsistance, combinée avec les maladies et une météo peu clémente, tua des centaines de milliers d’êtres humains.
Depuis les années 1920, le nombre de morts au niveau mondial liées à des famines dues à la sécheresse a été réduit de 99%. La raison ? Une spécialisation continue et le commerce, qui ont multiplié le montant de nourriture produit par tête et ont permis aux populations habitant des zones susceptibles d’être touchées par la sécheresse de se diversifier et d’être moins vulnérables.
Mais en Afrique, les États empêchent la libre circulation des biens et des personnes. Et là où les droits fonciers sur les terres sont limités ou non sécurisés, les gens n’ont pas d’autre opportunité que de survivre. L’Éthiopie est un exemple poignant : c’est l’État qui y est le principal responsable des désastres à répétition.
En 1975 la dictature socialiste de Mengistu Hailé Mariam nationalisait toute la terre rurale d’Éthiopie, bouleversant le régime impérial complexe et confus ainsi que le régime foncier coutumier évolué. L’objectif affiché était de reprendre la terre à des propriétaires exploiteurs, fournir aux agriculteurs des droits d’usage de la terre, créer des coopératives agricoles pour nourrir le pays et de maintenir les populations en dehors des villes.
Cela a été un échec. L’oppression a remplacé l’exploitation. Sans incitation à améliorer la terre, la production baissa de manière spectaculaire et les échanges étaient interdits. Sous Mengistu, les agriculteurs n’avaient pas le droit de mettre des récoltes de côté en prévision des temps difficiles, ni de faire de l’argent sur leurs ventes. Les entrepreneurs n’avaient pas le droit de transférer la nourriture vers là où elle était le plus nécessaire. Toutes ces pratiques étaient en effet considérées comme capitalistes et anti-sociales. Mais lorsque la sécheresse frappa en 1983, des millions de gens furent incapables d’obtenir un minimum de nourriture à cause de ce système, et des centaines de milliers d’éthiopiens moururent.
Le gouvernement de Meles Zenawi, premier Ministre de l’Éthiopie depuis 1991, a-t-il retenu les leçons de 1983 ? En fait il n’a que peu changé la politique de Mengistu de terres nationalisées. Selon la Constitution de 1995 les agriculteurs ont toujours un droit d’usage mais pas de propriété. Ils ne peuvent donc hypothéquer leur terre pour obtenir des prêts et investir (engrais, semences, pesticides, irrigation etc.) de manière à accroître leur productivité et leur production. Ils doivent donc payer des taux d’intérêt faramineux et rédhibitoires.
Ils ne peuvent non plus vendre leur terre et chercher de meilleures opportunités économiques. A la place de cela, les familles n’ont d’autre choix que de subdiviser la terre en parcelles de plus en plus petites pour leurs enfants adultes. Une foule de conséquences perverses s’ensuivent : les familles doivent épuiser leurs maigres économies ou vendre des biens pour survivre ; la subdivision continue des terres entraîne directement une dégradation environnementale et des récoltes plus faibles qui, bien sûr, aggravent la famine. Et enfin, les agriculteurs efficaces ne peuvent pas acheter de propriété foncière et installer des exploitations plus grandes et plus productives.
Pire : l’État limite volontairement les migrations vers les villes. Pourquoi ? Il prétend s’attaquer à la croissance urbaine « chaotique ». Mais la peur véritable est que davantage de populations dans Addis Abeba pourrait rendre plus difficile pour les autorités de contenir les protestations et maintenir le pouvoir politique. Mais quand les populations rurales se voient interdire de venir en ville, elles se voient aussi interdire de chercher des opportunités économiques et d’exercer leur talents entrepreneuriaux – la seule chose nécessaire aux gens lorsqu’ils ne peuvent plus subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille par l’agriculture.
Forcer les populations à rester de petits agriculteurs, leur refuser les opportunités dans les villes tout en les obligeant à migrer, et les inciter à ruiner la terre par la subdivision de cette dernière, tout cela est la conséquence d’une mauvaise gouvernance, pas d’une mauvaise météo.
La tragédie de cette année aurait pu être évitée avec des politiques différentes, en transférant les terres nationalisées à ceux qui savent les valoriser, en éliminant les restrictions au commerce et aux migrations. Il est grand temps de redonner leurs droits aux pauvres et d’empêcher ainsi de futures tragédies.
Julian Morris est directeur exécutif de l’International Policy network, un think tank de Londres. Karol Boudreaux est analyste pour « Enterprise Africa ! » un projet du Mercatus center de l’Université George Mason aux Etats-Unis.