Monnayeurs

Publié le 15 novembre 2009 par Menear
Peu avant l'épicentre de la Crise, celle qui s'écrit majuscule point d'exclamation, une entreprise de plus sans visage avait convié les foules à une distribution gratuite d'argent papier, heure où l'argent papier existait encore. Les foules ont traversé la ville en cortèges affamés, cortèges où les paroles disaient : « je crois plus au père noël, mais moi je crève la gueule écrasée par terre, je croirai ce qu'on me dira de croire ». Les cortèges ont gonflé avec le froid et les vapeurs buccales des corps toujours plus nombreux. Ils ont traversé les rues, longé le palais Brongniart, planté des drapeaux gorgés de A et de slogans rouges. Un écriteau de plus placardé sur les grilles, marqueur noir sur carton : « Sautez bande d'enculés ! ».

La foule s'est arrêtée, tour Eiffel panorama arrière. Les premiers costumes-cravate ont défilé les poches vides pour des discours sans micro. L'argent déjà disparu, happé par les gouffres sans fond des grilles ouvertes et bouches d'égouts. Mouvement de foule, slogans hurlés : « on est là pour l'oseille », têtes décapitées défilées sur des pics, paupières cousues, langues arrachées, cravates nouées aux fronts poisseux couverts de sang. On a renversé des voitures. On a brisé des vitrines. On a piétiné « la gueule écrasée par terre » ceux qui crevaient déjà la gueule écrasée par terre depuis des mois de faim et de squelettes brisés. Les hommes en bleu ont dit : « il faut pas croire les promesses des autres ». Les hommes en bleu ont dit : « on va faire deux rangs, on tire à balles réelles ». Les slogans pleuvaient encore : « du sang ou du fric, du fric ou des morts ». Après l'émeute, les hommes en bleu encore, paroles soufflées dans leur radio crachée et leurs ondes saturées : « faites venir les agents d'entretien, c'est des pelleteuses qu'il faudrait ».