Nouvelle récompense pour Dany Laferrière qui après le prix Médicis qu'il a reçu début novembre obtient désormais le Grand Prix de Montréal, que le maire de la ville, Gérald Tremblay a hier remis avec un chèque de 15.000 dollars CA (soit près de 9500 €).
C'est l'ouvrage L'énigme du retour, racontant la vision d'un Haïti retrouvé qui est récompensé, après la mort du père de l'auteur, qui était parti pour fuir les années de Papa Doc, en 1960, le père de Jean-Claude Duvalier.
« Je remercie l'auteur de nous offrir une oeuvre d'aussi grande qualité qui témoigne de la richesse de la littérature montréalaise et qui, il faut bien le dire, interpellera notamment nombre d'exilés que compte notre métropole ouverte et diversifiée », a témoigné le maire.
Voir aussi notre chronique de l'Énigme du retour : « Dany Lafferière sillonne le pays de part en part, à la reconquête de son enfance et de ses sensations. Le recueil d'Aimé Césaire dont il ne se sépare jamais, fait partie intégrante de ce voyage. À ses côtés, son neveu, prénommé Dany par la famille qui ignorait si le premier reviendrait un jour. »
LES COMMENTAIRES (1)
posté le 14 décembre à 21:07
Sous le ciel d’Haïti, Dany Laferrière offre un poème, hanté par les vers baudelairiens « les morts, les pauvres morts ont de grandes douleurs »
Dialogue avec lui-même, poursuivi dans le souvenir du père disparu.
Déracinement, au double sens du mot.
Au Québec, il était isolé, en apparence détaché des idées et des ancêtres d’Haïti. Ce déraciné, au cimetière, rompt son isolement, avec cette poule noire sous le bras, divin symbole opportunément offert par des amis paternels, rencontrés lors d’ obsèques sans corps.
En Haïti, ce canadien, porte en lui, son nouvel enracinement, celui des immigrants qui ont changé de Patrie par la force des évènements, souvent sans esprit de retour.
L’enracinement de Laferrière : il se souvient d’où il vient, mêle ses anciennes racines à celles qui ont poussé au Québec, dans son nouveau terreau identitaire. C’est ça ? Pas sûr ! Dîtes-moi si je me trompe.
C’est ce que j’ai cru comprendre, moi qui cherche encore mes racines, sans pour autant avoir été déraciné ! Je n’en suis pas fier et je n’en ai pas honte. Mais j’envie l’expérience humaine réussie de Laferrière !
A cause de la poule noire, on le confond avec LEGBA, « dieu qui se tient à la frontière du visible et de l’invisible », un dieu qui me plait. Je m’imagine passe-muraille. La poule noire sous le bras, dans le cimetière du village natal, il célèbre son père. Dont le cadavre à Brooklyn.
L’ouvrage a la gravité d’un mémorial : en milieu de vie, l’auteur se retourne vers sa jeunesse. Souvenir des paysages et des défunts de cette moitié de vie.
Village natal : point d’arrivée, point de départ.
A Barradères, le village natal, on inhume. Sans le corps du père. Laferrière pense alors que ces tombes sont les siennes et que les morts haïtiens vivent en lui. Identité multiforme de Dany, pluralité des rôles : celui d’affronteur des neiges celui de protégé des dieux. Ce n’est pas un voyageur sans retour, mais un homme qui approfondit la connaissance de lui-même.
Ses dieux, ramenés avec lui, transis du froid de son Québec Ses dieux ne l’ont jamais quitté, ils étaient seulement congelés dans son pré-conscient, prêts à surgir.
« Si tu ne connais pas le vaudou, le vaudou te connaît »
Il médite le propos, à Ville-Bonheur, Là : «où règnent deux vierges. Celle de la chrétienté S’appelle Marie Immaculée. Et sa jumelle qui trône dans le parthénon vaudou, c’est Erzulie Freda Dahomey. Des vierges assoiffées. L’une de sang. L’autre de sperme. » (page243)
Laferrière associe l’amour et la mort, comme si le Gréco lui avait révélé son secret et appris comment vivre du divin.
Mystère du statut identitaire au pays du vaudou : on prend Dany pour Legba.
C’est qu’il faut amadouer Ogou, dieu colérique et jaloux, capable de gâcher les fiancailles de la fille de la maison. Ce père de famille le sait, en poussant sa fille, dans les bras de DANY- LEGBA.
Et Laferrière, de préciser, à la page 269 de son livre, qu’on entend même « des hommes et des femmes chanter la gloire d’Erzulie Freda Dahomey, la déesse à qui aucun homme ne peu résister »
On aura une pensée pour Anna de Noailles, peu d’hommes aussi lui résistaient. Elle aurait envié l’enracinement haïtien. Vers de regrets. Vers d’un manque, manifestement comblé en Haïti. Elle nous dit :
« Puisque nos sorts furtifs sont toujours en péril, N’ont pas la même route et pas le même toit… »
Oui, même après la mort, un contact avec ce monde est toujours possible, il suffit de regarder les enfants. Laferrière rassurerait Anna de Noailles :
:
« Les enfants traversent le cimetière Pour se rendre à l’école. En passant ils frôlent de leur paume La tombe de leurs ancêtres. Une façon de garder un contact quotidien Avec ce monde. » (page293)
Tout est dit comme si les disparus, au dernier moment, devaient sentir la mort, comme une poésie et un regard de vie des enfants.