Reda : Journée mondiale contre le sida 2009. La plupart des gens ne le savent pas. Si vous connaissez la date, c’est déjà pas mal ! C’est le 01 décembre 2009. On va en parler aujourd’hui, puisqu’on prépare la conférence de presse "les visage de l’épidémie en 2010". Des personnes séropositives viendront de toute la France à Paris pour prendre la parole. Petit rappel pour Catherine de la conférence de presse à laquelle elle avait participé l’année dernière. C’est quelqu’un que tu connais bien je pense, qui parle de cette "génération sacrifiée".
Jingle
Homme : Oui, j’en connaît mais malheureusement, de ma génération il y a eu une certaine hécatombe. Maintenant, on est très peu. On peut même dire que je suis un des dinosaures, avec certains que je connais. Par exemple, pour dire un chiffre, sur une quinzaine on est à peu près cinq. Voilà ce qui reste de mes amis et de mes connaissances proches.
Reda : C’est le Viêt-Nam, c’est la catastrophe ! Comment ça se fait qu’on en parle si peu ?
Homme : Ça, je sais pas mais en tout cas à l’époque, il y avait peut-être pas tous les traitements qu’il y a maintenant, les suivis avec les médecins. C’est vrai que ça a fait avancer les choses et à l’époque, il y a eu beaucoup de personnes qui n’ont pas bénéficié de tous ces traitements. C’est pour ça aussi que beaucoup de gens ont disparu.
Jingle
Reda : Ça, c’était Bader après la conférence de presse "génération sacrifiée" l’année dernière. Ali, quand tu entends parler de ces histoires, qu’est-ce que tu as envie de dire, de faire savoir ce qui s’est passé et puis je te renvoie la même question : comment ça se fait qu’on parle si peu d’un truc aussi énorme où il y a toute une génération qui a été décimée et terrassée ?
Ali : Par rapport à mon âge, je sais que l’apparition du VIH, j’en ai entendu parler pour la première fois en 1981. J’ai lu le premier article qui concernait les Etats-Unis et qui parlait de quatre vingt cinq pour cent d’homosexuels et de quinze pour cent de toxicomanes. En ce qui me concerne, j’étais toxicomane par voie intraveineuse, d’où le fait d’avoir contracter le VIH et le VHC. Lui, il dit dix sur quinze qui sont morts ; moi, j’ai arrêté de compter le nombre de personnes qui sont mortes dans mon entourage au bout d’une trentaine, d’une quarantaine, d’une cinquantaine. C’éatit une réelle hécatombe !
Reda : A qui la faute ?
Ali : Les gens étaient des cobayes à cette époque-là ! L’interféron, biaféron... Bon, c’était les seules médicaments qui étaient proposés et quand on vous met face à un dilemme en vous disant : voilà un médicament qui va vous faire gagner vingt ou trente de vie et que c’est le seul espoir que vous avez, alors vous le prenez. Malheureusement, ce que j’ai constaté autour de moi, c’est que certaines personnes ont pris des traitements et sont décédées très peu de temps après. Les traitements ont évolués certes mais dans cette période-là, entre 1980 en 1990, j’ai vu mourir énormément de personnes.
Reda : Le seul traitement qui existait à l’époque, c’était à partir de 1989 et c’était l’AZT.
Ali : Oui, voilà !
Reda : Avant, il y avait rien sauf de l’expérimentation, comme tu dis ! Et l’AZT, tout seul, ça ne marche pas !
Ali : C’est exact !
Reda : C’est vrai que j’ai déjà entendu ça, des anciens qui disaient que quand un gars commençait l’AZT, on comprenait que c’était la fin !
Ali : Voilà !
Reda : Mais ça ne veut pas dire que c’était l’AZT qui le tuait pour autant.
Ali : Pour ma part, j’ai vu se dégrader des personnes de jour en jour et j’étais en droit de me poser la question !
Reda : Tout comme nous, on a vu à partir du milieu des années 90 des gens qui étaient mourants, prendre des trithérapies et du coup, se relever comme Lazarus ! Les deux sont vrais ! Et toi, Catherine, je te propose de t’écouter un an après la conférence de presse. C’était toi avec Ben de Valenciennes que je salue au passage parce qu’il est en principe à l’écoute. Vous étiez deux pour porter cette parole de ce qui s’est passé, de cette catastrophe pendant les années 80.
Jingle
Catherine : Merci d’être là. Je m’appelle Claude Charles Catherine. Tout le monde m’appelle Catherine. Ça fait 27 ans que je suis séropositive puisque j’ai une fille de 27 ans qui est née en 1981, au tout début de l’épidémie et qui a été dépistée quelques années après, séropositive. Elle a aujourd’hui une petite fille de presque 2 ans. Elle va très bien, sa petite fille est séronégative. En fait, je suis venue car je suis une de ces personnes qui a survécu à l’hécatombe des années "héroïne/sida" et moi, je suis venue surtout témoigner pour dire à tous les jeunes qu’ON PEUT VIVRE ! Au delà de survivre, on peut vivre. J’en suis la preuve vivante. Je suis sur plusieurs fronts, à savoir deux fils en prison dont un depuis treize ans, l’autre depuis huit ans. Je fais pas mal d’anti-carcéral, j’ai monté une association pour les proches de personnes incarcérées parce qu’en prison, il y a également beaucoup de gens séropositifs et des personnes qui vont les voir que l’on ne soutient pas, comme cette initiative du Comité des Familles, de ces enfants qui ont été contaminés comme ma fille dans les années 80 et qui grandissent avec cette peur au ventre.
Jingle
Reda : C’était le 28 novembre 2008, je crois. Catherine, quand tu t’écoutes un an après, qu’est-ce que ça suscite chez toi ? Par la suite, tu as fait un très long article parce que tu disais que lors de cette conférence, avoir évoqué tout ça, déterré tout ce passé, ce n’est quand même pas facile !
Catherine Ça n’est jamais facile de retourner dans des années qui ont été des années noires parce que la peur, elle est diffuse ! Mais là, tu l’as au ventre et puis tu es considéré comme un pestiféré, une ou un pestiféré. J’ai eu des mots plus fort qui peuvent énerver ; pour moi, c’était un génocide ! Je viens des années 70, de la défonce des années 70 alors nous, on est peut-être deux sur vingt à être débout ! Ça laisse imaginer tout ce qui n’a pas été fait pendant toutes ces années en terme de santé. Quand l’AZT est arrivé en 1989, j’ai vu tous mes amis non pas mourir à cause de l’AZT mais mourir parce qu’ils avaient tellement peurs ! Quand on vous pose un diagnostic mortifaire, tu es déjà dans une spirale morbide.
Reda : C’est-à-dire une époque où les médecins annonçaient au gens que leur espérance de vie était trois/cinq ans maximum.
Catherine : Il y en a qui ont été terribles. J’avais des amis qui étaient effondrés, qui ne savaient pas comment faire pour finir leur vie. Il me disaient J’ai deux ans à vivre, j’ai peut-être qu’un an à vivre... Ils partaient en voyage, ils faisaient n’importe quoi, ils ne prenaient pas les traitements ! Ils ont terrorisés un maximum de gens. Sur les portes d’hôpital, j’ai vu des gens avec des croix, comme des pestiférés ! Bien sûr que c’est douloureux ; et puis j’avais une fille, imagine donc en terme de culpabilité tout ce qu’on m’a renvoyé.
Reda : Plutôt que de rester dans la complainte, des gens du Comité des Familles ont pris le parti de monter, de pousser, de porter ce projet Madeleine Amarouche, dont on a lu la lettre en début d’émission. Est-ce tu serais prête, par exemple, à venir avec nous dans le lycées pour parler aux jeunes, leur parler et leur expliquer à quoi ressemble la vie avec le VIH ? Et du coup, leur imposer le respect des personnes qui vivent avec et puis de l’autre côté, ça ne donne pas envie de se retrouver avec un ou plusieurs virus dans le sang.
Catherine Je ne suis pas super "Jimmy"...
Reda Mais est-ce que tu soutiens ?
Catherine : Absolument ! Ça passe par là. Ma fille s’est fait virer de l’école parce qu’un prof et une conseillère d’éducation ont dit qu’elle avait le sida devant plein d’élèves ! Ça a été un drame, elle a quitté le lycée à cette époque-là et a dit qu’elle ne parlerait plus jamais de ça. A l’époque, j’avais demandé à aller dans les lycées et parler !
Reda : Est-ce que tu avais pu le faire ?
Catherine : Bien évidemment que non ! C’est des endroits totalement hermétiques. C’est plus simple d’élever des générations avec la peur au bide que de prévenir ! Si vous proposez cette initiative et qu’elle se concrétise, il est évident que je serai là. C’est vital !
Reda : Je crois que de la part de Sophie, qui porte ce projet, on peut t’inviter pour venir samedi à seize heures. C’est où il va y avoir une réunion du projet Madeleine pour préparer les premières interventions dans les lycées.
Catherine : Je ne serai pas là ! Alors, tu vois, tu me préviens maintenant... Tu sais que je ne suis pas très réunion mais rencontrer les gens, avec grand plaisir et ça passe par là, encore une fois. La véritable prévention, c’est celle-ci avant toutes les autres ! Si tu n’apprends pas à un enfant la vie et ses risques, les risques qui la parsèment, la pétrissent, et bien tu as raté quelque part.
Photos
Catherine et Ousmane préparent la lecture de la Lettre ouverte de Madeleine Amarouche
Tournage des vidéos qui seront mises en ligne prochainement sur la chaîne YouTube de l’émission