Immersion dans un film des fifties avec Gabin, du genre Maigret tend un piège. Cela tombe bien, nous sommes à deux pas du marais. La lumière blafarde d’une enseigne au néon, en version colorisée, projette sa silhouette déformée sur l’asphalte laqué d’une pluie fine et glacée. On peut y lire : Duluc – Détective (non ce n’est pas une contrepèterie). On s’imagine une sorte de Magnum en version Peugeot 403, chapeau mou et pipe au bec, filant fausse moustache en avant, un mari adultère parti fricotter avec Lulu la Nantaise. Ambiance vieille France d’après guerre, sur un air de jazz lent et mélancolique. Ce soir, les imper sont de sortie. La maison poulaga aussi. Ils campent en face, sifflet à la bouche et menottes à la ceinture, comme de noirs insectes hypnotisés par un vert luisant. La projection aveuglante d’un phare vient perturber leur immobilité. Ils lèvent le bras, gonflent les joues à la manière d’un Louis Armstrong asthmatique. Un bruit strident retentit, le présumé fautif stoppe net. Il ne sait pas pourquoi, mais eux savent. Enfin, ils vont bien trouver.
Heureusement, je me faufile juste après lui, dans l’improbable parking qui jouxte l’immeuble qui me fait face. Là encore, le temps s’est arrêté. Un type à l’accent gouailleur me lance quelques phrases bien pesées, et tend un papier vaguement griffonné en guise de ticket de sortie. Dialogues signés Audiard. Je me dit que s’il lui prend l’idée d’aller se coucher en milieu de soirée, on est mal. De la supériorité de la barrière automatique sur l’homme…
1/2 minute plus tard, après 28 pas exactement, me voici sous le néon, devant la porte de Kaï. Choc culturel, on passe à Shogun. Un décor épuré, quelques tables, une cuisine au fond. L’ambiance est calme, le zen fait rage. Pierre Bergé est là pour m’accueillir. Tiens, dis donc, c’est luxueux l’accueil ici… bien en fait non, il vient juste pour diner, comme moi. Je le salue, lui ne m’a pas vu.
Une charmante Gaïcha en version Uniqlo me guide vers une table de bois clair, puis me donne la carte. J’ai enfin compris ce que signifie Kaï. C’est le cri que pousse le client moyen en regardant le prix des menus du soir. Grosso modo, de 70 à 110 euros. En général je suis un risque tout, mais pas là. Je prends donc le premier, le plus simple. La salle est particulièrement agréable, le calme règne. Je me regarde au ralenti, comme dans un épisode de Kung Fu avec David Carradine (au passage, google-isez David Carradine, vous ne serez pas déçu de découvrir la façon très rock’n-roll dont il est mort).
Le premier plat arrive : salade de thon cru à la tataki (juste saisi). simple, beau, bon, mais pas énormément de goût. Ok, vous allez me dire que la cuisine japonaise est subtile, toute en finesse et en légèreté, et c’est bien cela qui est exceptionnel. Oui, bon… cela me rappelle une expérience de dégustation chez Mariage, ou j’avais franchement l’impression de boire de l’eau chaude, alors que le personnel ne tarissait pas d’éloges à grand renfort de superlatifs, sur le thé blanc qui infusait dans ma théière en verre. Cela ressemblait à de l’eau chaude, ça avait le goût de l’eau chaude, mais ce n’était pas de l’eau chaude… un grand moment de solitude.
Bref, je décide de faire un grand pas vers l’occident, et tente le foie gras œuf cocotte. Je m’attends à un truc fusion de deglingo, je suis un peu déçu. Pas mauvais mais un peu balourd, c’est un œuf battu et cuit lentement avec du foie gras quoi…
Puis, le risotto de homard pointe son nez, enfin ses pinces plus précisément. C’est bon, c’est un bouillon exquis et léger, au fond duquel repose un riz rond avec quelques beaux morceaux du crustacé. Objectivement, rien à voir avec un risotto, mais bon, pas grave je ne suis pas très fan des risottos en général.
Les desserts ici sont une curiosité. En fait ce sont des desserts Pierre Hermé. Cela peut paraître curieux mais au final c’est un excellent choix. Les desserts japonais ne sont pas ma tasse de thé vert, même matcha.
Au final, Kaï est un bon japonais. Il n’a absolument rien de commun avec les affreux california maki fabriqués au kilomètre et livrés par des scooters pétaradant, brûlant à toute berzingue l’oxygène de la planète et les lois républicaines.
Cependant, le voisin de palier de Duluc le détective, gagnerait à baisser ses prix de 30%. Les menus du soir sont un peu chers. Le rapport prix/plaisir est donc moyen. Allez-y plutôt le midi !
Kaï – 18, Rue du Louvre – 75001 Paris