C'est l'été. Soudain je suis peintre : portraitiste.
Je vais sur la place du marché, je m'installe un étal avec mon matériel et des portraits de gens célébres pour montrer que je sais peindre : Dalida, Claudia Schiffer, ainsi que quelques beaux anonymes. Derrière mon chevalet, je fais semblant de finir un portrait à partir d'une photo pendant que les badauds tournent autour avant d'aller chercher leurs poireaux. À part un sourire de temps en temps, je les ignore, me donnant entièrement à mon art.
Vers 11 heures, il commence à y avoir du monde. Enfin quelqu'un veut un portrait, un type de la quarantaine en polo jaune. Je me demande pourquoi il veut son portrait, mais tant pis, j'y vais. Je travaille, fronce les sourcils, étudie la forme du crane, les proportions du visage, l'arrondi des orbites, l'expression : c'est un fonceur, mais il faut lui donner une profondeur que je tente de deviner. Au bout de vingt minutes je lui montre l'oeuvre. Il n'est pas content du tout, me dit que ce n'est pas lui. Il est très en colère. Je regarde, pour comparer. Il a raison, ce n'est pas très ressemblant : je vois que je viens de peindre Adolph Hitler.
Excuses, pas fait exprès, vraiment désolé. Il le prend très mal quand même. Il y a du bruit, il se calme et s'en va.
Les gens partent, d'autres arrivent, curieux. Enfin un client. Je fais très attention, mais cette fois c'est le maréchal Pétain, képi et moustaches. Et tout l'après-midi c'est la même chose : Milosevic, Staline, Laval, Karadzic, Bush Jr., alors que mes modèles sont des gens tout à fait ordinaires. Il fait chaud, l'énervement monte. J'essaye d'expliquer que je n'y suis pour rien, évidemment personne ne me croit. « Ce n'est pas drôle du tout ».
À la fin de la journée mon étal est en miettes, chevalets renversés. Dalida et Claudia déchirées.