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25 façons pour que l'argent vous parvienne et une vingt-sixième
Publié le 14 novembre 2009 par MtislavJe me suis régalé avec Ludmilla Ouliskaïa. Je cherchais à me souvenir du titre de son ouvrage en discutant avec un ami. "Daniel Stein, traducteur" ? Non, décidément, ce n'était pas ça. "Daniel Stein, interprète". Tout le sel de ce livre est dans ce mot : il est question d'intercessions divines. Les efforts des catholiques pour empiéter sur la mémoire juive sont rebutants. Aussi, on pourrait être sceptique lorsque l'on se rend compte qu'il est question tout au long du livre de suivre l'émigration de juifs chrétiens en Israël. J'avais été attiré par la quatrième de couverture qui résumait le destin de ce personnage : "Le père Daniel Stein, né en Pologne en 1922 et mort en Israël en 1995. (...) Il échappe miraculeusement à la déportation en se faisant passer pour un Allemand, puis se convertit au catholicisme, avant de s'installer dans un monastère près de Haïfa."
C'est un roman par lettress. Hilda écrit à sa mère.
"Et voilà que, brusquement, nous avons reçu une lettre de la municipalité nous informant que nous occupons illégalement le terrain près de l'église Elie-de-la-source et qu'il appartient à la ville. Et cela, alors que nous avons déjà tout remis en état, et même deux fois. La deuxième fois après l'incendie. (...) Daniel est aussitôt allé les voir, et ils lui ont dit qu'ils pouvaient nous laisser le terrain, mais uniquement en location. La somme est énorme, totalement impossible à payer pour nous. Daniel était très calme, bien qu'on lui ait dit que si le loyer n'était pas versé d'ici un mois, ils viendraient avec un bulldozer et détruiraient tout. J'en ai pleuré pendant deux nuits, mais Daniel, lui, n'avait pas l'air de s'en faire du tout.
Un jour, il m'a fait venir et m'a dit : "Tu veux que je te raconte une parabole juive ? " Et il m'a raconté l'histoire d'un certain rabbin Zoussia, qui devait rembourser une dette avant le lendemain matin et qui n'avait pas d'argent. Ses disciples se demandaient avec angoisse comment s'en procurer, mais le rabbin restait calme. Il a pris une feuille de papier et a noté vingt-cinq façons par lesquelles l'argent pouvait arriver. Et une vingt-sixième sur une autre feuille. Le lendemain matin, ils ont reçu l'argent. Les disciples ont alors lu la liste avec les vingt-cinq possibilités, mais celle grâce à laquelle l'argent était arrivé n'y figurait pas. Alors reb Zoussia a déplié l'autre papier. Il y avait écrit dessus : "Dieu n'a pas besoin des conseils de reb Zoussia."
Cela m'a fait rire, bien sûr. Mais deux jours avant la date fixée pour le versement du loyer, un groupe de protestants américains a débarqué, des sympathisants d'Israël, et leur pasteur nous a fait un chèque de cinq mille dollars. Cela représente une année de loyer !"
* * *
Je ne résiste pas au plaisir d'un deuxième passage. Un peu plus avant (p. 160), toujours Hilda a sa mère.
"Le lendemain, la guerre s'est terminée. Je ne peux pas te décrire ce qui s'est passé ici. C'était une liesse, un tel bonheur ! On a tout de suite appelé cette guerre la guerre des Six-Jours.
Et voilà qu'au beau milieu de la joie générale arrive Daniel, l'air assez sombre. Il s'assied à table et dit :
"Félicitations pour la victoire ! On parlera de cette guerre dans tous les manuels de stratégie militaire jusqu'à la fin du siècle ! Les Arabes ne nous pardonneront jamais cette humiliation."
Et Moussa, qui était passé ce jour-là, a répondu :
"Je connais bien les Arabes, Daniel, ils trouveront moyen d'interpréter cette défaite comme une grande victoire. Ils ne laisseront pas le monde entier se moquer d'eux."
Daniel a hoché la tête. Il aime beaucoup Moussa, il y a entre eux une entente très profonde. Et il a dit :
"Bien sûr, Moussa, seul un homme intérieurement libre peut rire de lui-même et laisser les autres se moquer de lui."
Là, j'ai immédiatement pensé au spectacle cocasse de Daniel transportant le hassid sur sa Vespa, et j'ai dit :
"Oui, avant-hier, tout Haïfa s'est bien moqué de toi en te voyant trimballer ce hassid !
- Ah bon ? Tu m'as vu ? a demandé Daniel, affolé.
- Bien sûr ! Et je ne suis pas la seule, toute la ville était morte de rire !"
Il a eu l'air consterné et s'est aussitôt lancé dans des explications : "Il était en retard pour un kaddish, tu comprends, et il n'y avait pas un seul taxi, pas un seul autobus. Quand je l'ai vu qui courait dans tous les sens, je me suis arrêté pour lui proposer de l'emmener. Et il est monté. Cela n'a rien d'extraordinaire ! Je l'ai conduit là-bas, il m'a dit merci, et c'est tout. Qu'est-ce que cela a de drôle ?"
Moussa se tordait de rire. Mais Daniel ne comprenait toujours pas.
"Mais on allait dans la même direction !
- C'est parce que vous êtes juifs tous les deux ! Les Arabes et les Juifs, eux, n'iront jamais dans la même direction... Je te dis ça en tant qu'Arabe. Quant à nous, les Arabes chrétiens, nous n'avons nulle part où aller, nous ne pouvons échapper ni à vos victoires, ni à vos défaites."
Nous avons bu du café et, avant de partir, Daniel m'a dit :
"Hilda, j'aimerais bien que tu n'ailles pas crier sur les toits que j'ai transporté un hassid
- Je n'en dirai pas un mot à qui que ce soit... Seulement toute la ville t'a vu !
- Peut-être que ce n'était pas moi, mais un autre prêtre ?"
D'autres prêtres comme lui, cela n'existe pas, je te jure !"
* * *
Au passage, j'en profite pour signaler le déménagement de Loïs de Murphy maintenant Anna de Sandre . J'aimais beaucoup ce qui n'est que son ancien pseudonyme, je l'ai déjà dit. Comme d'habitude, dès qu'il y a du changement, je ne suis pas content. En l'occurrence, je suis révolté : mtislav ne figure plus dans sa blogroll. Il y a plusieurs catégories : "Ecrivains", "Plumes", "Lecteurs", etc. Emeline Bravo est dans la première catégorie, Nefisa dans la seconde. Vous savez ce que j'ai fait : j'ai pris un petit papier et j'ai écrit dessus vingt-cinq façons pour avoir un peu de talent.
En renonçant à la vingt-sixième. J'ai peur qu'Anna de Sandre et Dieu n'aient pas besoin de moi...
photos : extraites de la galerie de Globe Trodden, Funny signs. Galerie très bien nommée.