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Douce tempête, plaisir simple et partagé

Par Teaki

Elle marche la bouche mi-ouverte, la brume salée s'attarde sur sa langue, la commissure de ses lèvres. La mer fait le dos rond, grogne et détend ses griffes avec une ampleur fantastique. Elle regarde ce lent mouvement régulier. Les gouffres d'eau semblent confortables comme de gros poufs de mousse, elle étend la main vers le grondement marin, rêve qu'elle peut s'y lover, épouser les courants contraires comme l'on se laisse bercer dans un hamac. Slam. La vague claque contre la digue avec un mouvement de cymbale géante. Elle s'arrête de marcher, reste face à l'océan, le souffle attentif, son corps penché en avant joue avec le vent. Elle rit. La mousse marine s'éparpille sur la lande, trainées neigeuses sur terre aride.

Des pluviers s'abritent au creux des roches, barbotent dans les rus inopinés. D'ordinaire, ces oiseaux piètent en bande sur l'estran, à l'abri du vent. Elle regarde leurs pattes roses orangées, des bâtons de corail souples et agiles qui arpentent le roc et défient le temps retors. Un couple de promeneurs s'arrêtent, partagent avec elle leurs émotions « Quelle puissance cette mer, je suis content d'être à terre ! Plus loin, les vagues sont encore plus grosses, marchez quelques mètres et vous verrez, c'est impressionnant » l'homme prend la main de la femme qui l'accompagne, « nous avons pris des photos, vous voulez qu'on vous les envoie ? » Elle secoue lentement la tête« C'est inutile, j'ai déjà pris les clichés que je voulais. Avec l'œil…. » L'homme sourit, tend un bout de papier sur lequel figure son e-mail « On ne sait jamais… »

Non, pense-t-elle quand le couple s'éloigne, on ne sait jamais ce qui nous manque ou de ce que l'on voudra demain. Elle adhère à cette vie mystère où le devoir, la culpabilité n'ont guère la place des rois. Ces despotes injustes et sclérosants, elle les laisse aux grincheux, à ceux qui ne savent pas voir la beauté gratuite, le mystère du présent, la grâce des jours qui s'amoncellent sur le calendrier comme des vagues sur les rochers. Elle a depuis longtemps abandonné la faute pour le plaisir, le travail pour l'œuvre, le devoir pour le sens. Elle sait la valeur du temps partagé, des mots échangés dans le creux d'un oreiller, les suaves promesses de la liberté assumée. Foin de petits et des tristes, ceux qui se complaisent par morale dans le malheur, le leur et celui de leur voisin. Elle aborde l'existence de cet œil neuf et rieur, bienveillante envers elle-même et ceux qui l'aiment. Pourquoi vivre si la morale, la culpabilité guident votre existence comme les rails du TGV ? Le promeneur a raison : On ne sait jamais…et c'est tant mieux.


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