Comme vous l'aurez très probablement remarqué, au même petit croisement de rues, juste en face de la synagogue Vieille-Nouvelle donc, s'élève l'ancien hôtel de ville de Josefov qui, pour l'heure, abrite un restaurant casher, ainsi que les bureaux de la Communauté juive.
Ce n'est pas tant son architecture rococo que l'horloge ornant la façade nord graduée en hébraïque qui le caractérise : il faut savoir que parce que l'hébreu - comme souvent les hiéroglyphes égyptiens, d'ailleurs -, se lit de droite à gauche, les aiguilles tournent ici dans ce même sens, inversement donc à celui de nos instruments horlogers traditionnels.
Après avoir ensuite dépassé deux représentants des forces de l'ordre en plein travail, un rabbin et ses "téfilines" disposées sur une table pliante, sans oublier les boutiques de souvenirs que l'on comprendrait mieux sur les quais de la Seine qu'ici, je vous avais donné rendez-vous ce samedi pour découvrir de conserve, tout au fond de la ruelle, deux importants bâtiments de l'ensemble des synagogues pragoises : à droite, d'abord, la Salle des Cérémonies de la Confrérie du Dernier Devoir, érigée en 1911-1912 dans un style néo-roman assez réussi.
A l'intérieur se décline actuellement la deuxième partie d'une exposition portant sur les traditions et coutumes juives, plus particulièrement ici centrée sur la médecine, la maladie et la mort ; sans oublier l'évocation des activités de la dite Confrérie, fondée en 1564. A la gauche de cette construction, la synagogue Klausen pour laquelle ci-dessous je vous propose une vue de la façade arrière donnant sur le cimetière dont l'un des accès se trouve précisément entre ces deux bâtiments ; façade bien plus esthétique que, dans la ruelle, celle de l'entrée proprement dite.
Construite à l'extrême fin du XVIIème siècle, cette synagogue dont le nom provient de "Klaus" qui, en allemand, signifie "petite bâtisse", lui même formé à partir du latin "claustrum", bénéficia jadis d'une extrême popularité aux yeux de la communauté juive de Prague dans la mesure où elle constituait le plus grand espace du ghetto réservé aux membres de cette Confrérie du Dernier Devoir. Actuellement, elle abrite la première partie de l'exposition que je viens de rapidement évoquer : au rez-de-chaussée sont définis le rôle d'une synagogue, ainsi que la signification des fêtes juives, alors que l'étage présente la vie quotidienne d'une famille juive et les coutumes en rapport avec la naissance, la circoncision, le mariage, le divorce ... A l'opposé, de l'autre côté de Parizska qui, pratiquement sépare Josefov en deux portions, je vous invite à découvrir deux autres lieux de culte juifs.
Tout d'abord, la synagogue Maïsel
Mordechaï Maïsel, alors maire de la cité juive, par ailleurs ministre des Finances de Rodolphe II et à la tête d'une fortune imposante, décida l'édification de ce bâtiment entre 1590 et 1592, en plus de la contribution financière qu'il apporta pour la construction d'autres monuments tels que l'hôtel de ville et la synagogue Klausen.
A la suite de divers endommagements subis aux cours des siècles, dont l'incendie de 1689 qui ravagea le quartier, cette synagogue qui porte son nom parce qu'au départ uniquement destinée à sa propre famille, fut finalement reconstruite en style néo-gothique en 1905.
Elle abrite aujourd'hui la première partie d'une exposition essentiellement consacrée à l'histoire des Juifs tchèques, depuis leur arrivée en Bohême et en Moravie au Xème siècle et ce, jusqu'à la Renaissance. D'importants ouvrages de cette époque, dus à des rabbins et des directeurs d'écoles talmudiques de ces deux régions, sont mis en évidence dans les vitrines de son espace muséal. Quant à la seconde partie de l'exposition relatant l'histoire des communautés juives tchèques et moraves, évoquant cette fois l'époque qui court du Siècle des Lumières jusqu'à nos jours, en ce comprises les années noires de la Deuxième Guerre mondiale, elle est visible dans la synagogue espagnole, toute proche.
Bizarrement, humoristiquement (?), vous y serez d'abord accueilli, ami lecteur, par l'inquiétante (?) statue haute de quatre mètres de cet être acéphale, sans plus de mains que de pieds, portant sur ses épaules Franz Kafka, l'incomparable romancier tchèque dont le pouvoir communiste, dans sa grande bonté de gérer l'intelligence, interdit la lecture pendant de nombreuses années.
Erigée en 1868, dans un flamboyant style hispano-mauresque, elle ne fut achevée que vingt-cinq ans plus tard. A l'intérieur : une imposante nef centrale dont les décorations s'inspirent manifestement de thèmes orientaux stylisés répétés à l'envi sur les boiseries des balustrades, des murs, des portes et des galeries.
Pour définitivement clôturer ce circuit des synagogues pragoises, et avant de pénétrer, samedi prochain 21 novembre, dans ce si particulier cimetière juif, je voudrais à présent - en dehors de toute logique géographique, puisqu'en effet nous allons une nouvelle fois traverser Parizska, pour nous retrouver du côté des deux premiers monuments que nous avons visités ce matin -, évoquer très succinctement celui qui à mes yeux représente indubitablement le plus important de tous : la synagogue Pinkas.
Ce n'est certes pas le bâtiment en lui-même, datant originairement de 1535 et restauré depuis dans un style gothique tardif qui motive mon sentiment, mais plutôt ce qu'il recèle : le Mémorial des femmes et des hommes d'obédience juive de Bohême et de Moravie qui eurent à payer de leur vie l'insupportable barbarie nazie. Depuis 1996, en effet, se développant sur deux niveaux sont inscrits, classés d'après leurs communes d'origine, quatre-vingt mille noms assortis de leur date de naissance et de celle de leur disparition. Quatre-vingt mille victimes de la Shoah ...
Quatre-vingt mille sacrifiés sur l'autel de la répugnante imbécillité humaine ...
A l'étage, plus insoutenable encore, des vitrines renferment les dessins des enfants de Terezin, cette ville ghetto à une soixantaine de kilomètres au nord de Prague, devenue une sorte de camp de transit vers Auschwitz dans laquelle, avec leurs familles, quelque 10 000 enfants de moins de 15 ans vécurent en attente d'être déportés : 8 000 le furent ; 242 en revinrent ...
Il est absolument impossible de ressortir indemne de la synagogue Pinkas : ces dizaines de milliers de noms peints à même les murs intérieurs, ces centaines de dessins d'une naïveté belle et si déconcertante, le plus souvent uniques témoignages de ceux qui n'ont pas échappé à l'Horreur, nous interpellent. S'ils ont certes ému l'historien que je suis, ils ont bien plus encore bouleversé les simples parents et grands-parents que nous sommes, mon épouse et moi ; ainsi que les quelques touristes qui, dans une atmosphère hiémale que seul l'un quelconque sanglot vite refréné venait à peine réchauffer, visitaient cette exposition en même temps que nous ...
"Le sentiment de notre existence dépend pour une bonne part du regard que les autres portent sur nous : aussi peut-on qualifier de non-humaine l'expérience de qui a vécu des jours où l'homme a été un objet aux yeux de l'homme".
Primo Levi
Si c'est un homme