Que tout le rituel chrétien ait son foyer dans le repas eucharistique dit assez comme ce rituel est avant tout expressif d'une assimilation de notre être déchu, fragile, obscur, dans l'être glorieux, vainqueur de la mort, le rayonnement de la lumière divine qu’est l’être du Christ ressuscité. Mais, au contraire de ce qui en est de l'aliment simplement visible que nous assimilons à notre propre nature, l'aliment invisible (dont il est, en toute réalité mais une réalité accessible à la foi seule, le véhicule) doit nous assimiler à lui-même, nous édifier tous ensemble dans la plénitude du Christ. Et c'est ainsi que ce rituel exprime finalement l'eucharistie du Christ, dans laquelle tout son être divino-humain s'est exprimé en référence au Père, à la gloire du Père, comme devenue la nôtre. La réponse de l'Eglise au Christ, de la créature retrouvée à la Parole créatrice qui s'est faite chair pour la rejoindre et l'épouser dans son éloignement infini, épouse effectivement cette Parole. Comme celle-ci s'est faite action, comme Dieu s'est livré, donné en nous parlant, dans sa Parole substantielle, - dans cette Parole faite notre chair et pliant à elle cette chair jusque-là rebelle, nous nous livrons en retour, nous nous abandonnons à la parole de l'« agapè » paternelle qui imprime ainsi en nous l’image filiale, non point par quelque contrainte extérieure, mais par la vertu souverainement libre de l'Esprit.
L'Esprit, finalement, le Saint-Esprit, est la sacralité de notre ministère, de l'action sainte à laquelle la proclamation de la Parole, d'elle-même, nous conduit. C'est dans l'Esprit que le Fils, en les jours de sa chair, s'est offert au Père. C'est dans l'Esprit qu'il est apparu une fois pour toutes, pour présenter le sang de l'unique expiation, de la définitive réconciliation, dans ce tabernacle céleste, dans ce temple éternel ou Dieu demeure dans une lumière inaccessible. Et c'est dans l'Esprit que nous-mêmes, à travers la célébration sacramentelle, nous le suivons par la foi et, à notre tour, avec celui qui est « l'Apôtre et le consommateur de notre foi », nous pouvons apparaître en la présence immédiate du Père, et nous y tenir, avec la Sainte liberté, faire (la « parrésia ») de la gloire des enfants de Dieu, et dire : « Notre Père qui êtes aux cieux, que votre Nom soit sanctifié... »
Louis Bouyer, Le Sens de la Vie Sacerdotale, Cerf 2008, p. 99-114