Un manga qui sent le soufre

Publié le 29 octobre 2009 par Fuzzyraptor

Je m’appelle Mein Kampf. Je suis né entre 1924 et 1925 sous la plume d’un certain Adolf Hitler dans la prison de Landsberg. Depuis, j’ai été lu, traduit, étudié, censuré, vendu sous le manteau. Wikipédia dit de moi que je « contient des éléments autobiographiques, l’idéologie politique du nazisme, l’histoire des débuts du NSDAP et diverses réflexions sur la propagande ou l’art oratoire ». Moi je ne sais pas, je ne suis qu’un livre. Ce qui est imprimé sur mes pages ne me concerne pas. Seuls vous, les humains, savez comment interpréter ces phrases.

Depuis peu, j’ai été adapté en manga sous le titre Waga Toso par la maison d’édition japonaise East Press. Cette nouvelle a été relayée en France entre autres dans Marianne2 et fait grincer des dents.

Ma version dessinée fait partie de la collection « Manga de Dokuha » ( »Initiation par le manga »), parmi laquelle on retrouve Le capital (Karl Marx), Guerre et paix (Tolstoï) ou encore Le Prince (Machiavel). Le but de cette collection ? Faire découvrir aux lecteurs des textes bien connus sous une forme originale. Si l’on en croit le nombre de mes ventes, 45 000 exemplaires, je plais à beaucoup de monde !

L’image, le nom, les idées de celui qui m’a écrit sont tabous dans beaucoup de pays. Mais pas dans tous. Aux Etats-Unis, je commence à être relu, mais d’une manière prudente. Quant au Japon, les symboles du nazisme sont parfois utilisés de manière décomplexée voire outrancière. Ainsi, beaucoup d’accessoires arborent la croix gammée et les cosplayer, ces jeunes qui aiment se déguiser en héros de manga, sortent parfois en costume nazi (mais on a aussi vu le prince Harry qui avait l’air de trouver ça très drôle).

Thomas Bertrand, rédacteur freelance à Kyoto, s’exprime sur le site de France 24 : « Des nostalgiques, des ignorants ou des fans du militarisme japonais sont forcément attirés par ce genre de livre, même s’ils ne sont pas adeptes de l’idéologie. J’ai aussi entendu parler de mangas révisionnistes ou glorifiant le passé militaire du Japon. Je crois qu’ils se sont bien plus vendus que celui-ci. Il est vrai que le Japon n’a pas fait le travail de mémoire qu’a fait l’Allemagne, et le nazisme n’est pas vraiment un sujet d’études, ici. Les livres d’Histoire des lycéens japonais ne s’attardent pas autant que ceux des lycéens européens sur la Seconde Guerre mondiale ».

Visiblement, certains japonais ne voient pas mon auteur comme vous autres européens, au point d’affubler des restaurants de son effigie ou de la croix gammée.

Mais cette réappropriation n’est pas restreinte au seul archipel nippon. Dans un article récent sur son blog, Audrey De Santis évoque l’utilisation d’un sosie du führer pour une campagne vidéo contre le SIDA. Glaçant, diront certains ! Dans l’article précédemment cité de Marianne 2, Jessica Thomas liste quelques œuvres récentes qui évoquent cette période de l’histoire : « La Chute, de Oliver Hirschbiegel, en 2004, Le Bunker, un dessin animé sur Hitler de Walter Moers, en 2007 (à voir en version française), un manga, Adolf, de Osamu Tezuka  et plus récemment, Inglorious basterds, de Tarantino… On commence donc à pouvoir prononcer « le nom » ».

Mais en le prononçant justement, certains grimacent encore et voudraient me voir disparaître. D’autres restent indifférents. D’autres encore plaident pour que je sois étudié, moyennant quelques précautions d’usage (un petit texte de présentation et d’avertissement). En 2015, je « tomberai » dans le domaine public comme on dit. Qu’adviendra-t-il de moi ? Je n’en sais rien, je ne suis qu’un livre… Tout dépendra de vous.