Déjà transcrit dans 180 langues, le livre de Saint-Exupéry est tombé dans le domaine public dans l’archipel il y a 4 ans. Cité dans un article du Figaro, Olivier d’Agay, directeur de la Succession Antoine de Saint-Exupéry-d’Agay et petit-neveu de l’écrivain s’enthousiasme : « Les Japonais sont passionnés par Saint-Exupéry. Le fabricant de matériel informatique Toshiba organise même des expositions sur le développement durable avec l’emblème du Petit Prince ».
Sur une newsletter du site officiel consacré à Saint-Exupéry, on peut lire qu’en « termes de livres, 16 nouvelles traductions sont parues [depuis 2005] et qui se sont vendues à plus d’un million d’exemplaires. La plus connue d’entre-elles est sans conteste celle de l’écrivain Natsuki Ikezawa, vendue à 400 000 exemplaires ». Depuis avril 2005, nombre de traductions ont donc défié celle « d’Aro Naito, Le Prince de l’étoile, qui régnait souverainement depuis un demi-siècle », explique P. Assouline. J’en profite pour remarquer qu’il n’y a pas qu’en France qu’on massacre les titres…
Et la controverse entre traducteurs fait rage. « Comment rendre au mieux l’idée du serpent boa dont chacun se souvient qu’il avala un éléphant ? ». « Uwabami bien sûr », explique P. Assouline, faisant référence à un serpent légendaire bien connu des japonais (voir son petit minois ici et ici). D’autres expressions posent également problème aux traducteurs nippons : la différence entre « égaré » et « perdu », l’expression « au hasard des réflexions » et « c’était doux comme une fête ».
Vu de l’autre bout de notre planète, un peu plus grande que celle du petit héros, de telles querelles de grandes personnes paraissent peu importantes. Pourtant, elles ont gagné en force : pour preuves l’essai d’Haruhisa Kato « professeur émérite à l’Université de Tokyo », intitulé Le Petit Prince à la figure triste, et l’article de Masataka Ishibashi dans la revue Labyrinthe (n°31).
Il s’agit là du parfait exemple de la mésentente entre « les partisans de la lettre et ceux de l’esprit ». Nombre des traducteurs qui se sont essayés à transcrire la prose saint-exupérienne en japonais ont privilégié l’interprétation voire l’adaptation et ont ainsi fait « subir les derniers outrages au Petit Prince » selon P. Assouline. En France, l’ouvrage tombera dans le domaine public en 2014 et Gallimard sera mis en concurrence avec une armada de nouveaux traducteurs.
Pour ma part, j’avoue que la traduction à la lettre, plus précise et fidèle, doit être un passage obligé. En revanche, pourquoi ne pas laisser libre court à l’inventivité des auteurs, pour adapter à leur guise des histoires, pourvue que cette interprétation soit précisée dès le début du livre… La richesse qui découlera de ce mélange entre une oeuvre étrangère et les traditions et croyances locales ne peut en être que plus grande… Et vous, qu’en pensez-vous ?
Pour aller plus loin :
- Le musée japonais du Petit prince, à Hakone (100 km au sud de Tokyo), visité chaque année par 400 000 personnes.
- L’article « Mino Hiroshi : Quête de sens » sur le site internet officiel du Petit Prince.
- Deux articles de Pierre Assouline sur le Genji, « classique des classiques japonais » et l’écrivain nippon Murakami.
- « Un dessin original du Petit Prince de Saint-Exupéry retrouvé au Japon », par Aujourd’hui le Japon.
Photo : La boutique du Petit Prince