Retour sur ce que j'écris.
Avec un large extrait de ce texte que je composa, il y a quelques années, dans la précipitation d'un deuil - comme pour me prouver à moi-même que je n'avais jamais su assez lui dire "je t'aime".
Ou le lui dire à travers ces mots et les cieux...
Bonne lecture :
Jamais, ô grand jamais, l’une des infirmières présentes à l’une de ses visites ne l’avait vu venir si tôt. Arrivé de si bonne heure. Le soleil continuait encore à peine de décliner dans ce ciel parisien de couleur rouille. Et déjà, il venait de passer les lourdes portes à doubles battants, avançant toujours d’un pas aussi assuré et décidé le couloir menant aux chambres des malades, ne détournant jamais une seule fois son regard de l’objectif qu’il s’était figé : 213. Cette chambre, la 213. Celle d’une certaine Eléonore.
La première fois que l’une d’entre elles le trouva à l’observer, debout et droit, au pied du lit, elle crut avoir une vision de mort. Un grand être, tout vêtu de noir, de cape en pied, au visage inexpressif et au regard impassible, que de longs cheveux fins et tout aussi noir de jais entourent. L’infirmière de service cette nuit là crut défaillir et laissa échapper son plateau mais il s’avéra bien plus serviable et courtois qu’il ne le laissait paraître. Les instruments et autres ustensiles atterrirent dans ce plateau d’inox qu’il rattrapa avec aisance. S’excusant avec une voix si chaude et réconfortante de l’avoir ainsi effrayée. Un homme charmant vraiment.
Un homme très discret également. Jamais il ne réclamait quoique ce soit pour Eléonore. Qui d’ailleurs restait une patiente modèle en sa présence et ne dérangeant alors jamais l’une des infirmières de garde.
Ses pas se devant pourtant d’être bruyant à la forme et taille de ses talons restaient étrangement silencieux comme s’il avait su flotter au-dessus de ce sol immaculé et aseptisé.
Arrivé au niveau de la chambre 213, il se tournerait avec douceur vers cette porte à la teinte pastel et rose et y frapperait deux coups légers comme il le fait toujours, attendant l’autorisation de son occupante pour entrer et prendrait alors place là où elles l’ont vu et revu si longtemps et tant de fois.
Patiemment installé dans le fauteuil si moderne et fonctionnel de cuir de la chambre d’hôpital, ses bras posés sur ceux d son siège, enfoncé dans le dossier, il resterait là, silencieux et immobile à l’observer et à discuter avec Eléonore.
Eléonore, sa grand’mère, selon les bruits de couloir colportés par quelques infirmières ou aides-soignantes
Elles l’avaient trouvé là, pour la première fois, six mois plus tôt. Il faisait nuit et les visites étaient censées venir de se terminer et nulles n’avaient vu ou entraperçu ce dernier visiteur entré ou traîné dans l’un des couloirs. Il se tenait là, ses longues mains posées sur la barre du lit, dos au mur latéral face à la grande fenêtre ouverte sur un ciel crépusculaire de printemps. Eléonore restait inconsciente dans ce lit aux draps jaunes et blancs. La tête penchée et dissimulée par les longues mèches de sa tignasse léonine, il devait la fixer. Sa tenue effraya celle que le roulement avait désignée pour les soins. Son long manteau noir dont des pans flottaient au grès du courant d’air prenait les allures d’une de ces capes sombres et doublées de velours que l’on peut voir dans certains vieux films noir et blanc anglais. Le pantalon de cuir noir moulant et usé qu’il portait, lui, le renvoyait directement à un stéréotype de voyou tout droit échappé d’une rue malfamée – comme ces lourdes bottes de motos abîmées et déformées.
L’infirmière de service entra, donc, en parlant à haute voix à la fois pour faire la discussion avec cette patiente physiquement diminuée et endormie et se donner la force de surmonter la vue et le côtoiement de tant de douleurs et de maux. Et qu’elle ne fut pas cette étonnante surprise de découvrir cette ombre sombre plongée dans le noir et penchée sur le corps malade et affaibli d’Eléonore. L’infirmière ne put que lâcher un petit cri aigu et contenu avant de perdre le contrôle de ses mains et d’en oublier son plateau de soins qui déjà commençait sa descente vers le sol blanc, enfoncé dans les ténèbres de la pièce. Le choc suivant dut n’être que d’entendre ce gobelet de plastique se répandre sur le sol et non ces lourds instruments et ustensiles qu’elle portait avec. Il les tenait entre ces mains ! Tenant d’une ce plateau froid où traînait la grande serviette de papier froissée et jeté pêle-mêle le reste de son matériel nécessaire, excepté cette seringue qu’il venait de rattraper de justesse et lui tendait de l’autre. L’aiguille entre son index et son majeur, il la fit pivoter et la reposa avec le reste. Avant de passer près d’elle et d’emprunter la porte.
Les visites sont… sont… sont terminées, monsieur » balbutia la blonde infirmière, seule dans ce long couloir : il avait disparu, comme emporté par un courant d’air ! Là laissant là, à la porte de cette chambre, son plateau désordonné en mains, la nuit entourant la malade à qui elle venait prodiguer ses soins et cette grande fenêtre ouverte sur le grand parc de l’hôpital et les bruits de cette nuit parisienne de printemps.
Ses collègues mirent plusieurs jours et soirées à croire cette histoire, à accepter cette apparition. Jusqu’à ce qu’il revienne.
Il ne revint pas le lendemain, ni le surlendemain mais réapparut dans cette chambre la troisième nuit d’étoiles et de brise fraîche.
Installé là, dans ce qui allait devenir sa place : ce grand et commun fauteuil de cuir. Plongé dans l’obscurité, il surprit l’infirmière de service ce soir-là en prononçant de sa voix douce, profonde, monocorde et emplie de tant de tristesse ces quelques mots : je me suis permis d’ouvrir la fenêtre. L’air me semblait vicié et je ne voulais que son bien-être : qu’elle respire encore de cette vie extérieure. La grande fenêtre ouverte laissait ce léger vent et la musicale vie extérieure pénétrés dans la pièce, faisant virevolter les fins rideaux.
Lui, plongé dans la protectrice obscurité de la nuit, semblait trôné dans ce simple fauteuil d’hôpital. Ses bras collés à ceux du meuble, il donnait lui-même l’impression dans être un, vivant ou comme quelque chose de vivant. Malgré l’obscurité, elle parvint tout de même à distinguer les traits fins et obsédants de ce visage livide et mystérieux. Ils lui apparaissaient là dans son esprit. L’infirmière se dit que ces visions venaient de sa fatigue accumulée et entra dans la pièce.
Il détourna son attention d’Eléonore pour venir poser ses profonds yeux sombres sur les formes rondes et généreuses de cette femme africaine. Les esprits d’ancêtres inconnus l’assaillirent, vinrent la tourmenter sur le coup mais elle n’y porta aucune attention. Ses cauchemars viendraient plus tard, bien plus tard. Elle avança et posa son plateau sur la haute table montée sur roulettes avant d’interpeller ce visiteur nocturne et lui rappeler ce règlement concernant les heures autorisées de visites. Mais seul un long rideau blanc flottait maintenant sur le fauteuil à l’instant occupé. Ne défaillant pas et ne connaissant pas ( encore ) le doute et la peur, elle se précipita dans le couloir, faisant traîner ses sabots de cuir blanc, pour n’y trouver qu’un sempiternel couloir d’hôpital, de l’hôpital où elle travaillait, vide et silencieux. La lumière clignotante au-dessus d’une porte la ramena à sa mission première : prodiguer ses soins à ces malades.
La nuit suivante, celle qui hérita de la tâche de soigner Eléonore, une nouvelle infirmière fraîchement sortie de formation, se dirigea vers cette chambre avec appréhension. Qu’allait-elle bien pouvoir y trouver si ce n’est une vieille femme octogénaire se mourant d’un cancer irrémédiable ? Une vieille femme qui ne pouvait plus lutter contre son destin.
Cet étrange visiteur la trouva, elle, la jeune infirmière fraîche moulue, affairée à ses soins. Il frappa à la porte de ce bois pastel de ses deux futurs coups identifiables et attendit qu’elle se retourne pour le regarder avant de pénétrer dans la chambre. Eléonore dormait profondément comme à chaque fois qu’il était venu la visiter. La jeune femme vint à sa rencontre et voulut lui demander ce qu’il venait faire à cette heure-ci alors que l’on priait les derniers visiteurs de partir quand entra à sa suite le jeune interne de garde : laissez, merci. Monsieur est le petit-fils de madame et il a mon autorisation de rester. Il revient de loin, précisa-t’il à la jeune femme en blanc en la priant de le suivre dans le couloir. L’ange guérisseur croisa alors le visiteur toujours tout de noir vêtu. Elle perçut une tristesse immense et lourde comme la chape de plomb d’années perdues quand il passa près d’elle. Sa douleur débordait de son être et de son fantôme. Une aura éteinte l’enivrant et venant transpercer ceux qu’il pouvait alors croiser.
Lorsqu’elle revint compléter silencieusement ses soins et récupérer ce matériel, elle s’attarda à le détailler et remarqua sur ses traits les traces d’une légère entaille sur le haut de sa joue. Coquet, il avait du se raser de près avant de venir lui rendre visite. Gênée, elle parvint à lui faire signe en lui tendant un mouchoir de papier : ses yeux étaient pleins de ces traces que laissent ceux d’un homme qui vient de pleurer. Un léger sourire en coin, dévoilant une infime part de sa dentition resplendissante, il se passa deux doigts aux bords de ses yeux et à la crête de son nez aquilin avant d’accepter l’étoffe de cellulose. Bout de papier stérile qui ne tarda pas à aspirer cette petite perle d’un sang rouge vif.
Il la remercia et posa avec précaution sa main sur celle d’Eléonore avant de venir poser ses deux lèvres fines sur celles claires de cette Belle d’un autre âge endormie. Et il sortit en murmurant quelques mots incompréhensibles (...)
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2001
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