Aborder des inconnus avec d'autres questions

Publié le 13 novembre 2009 par Amaury2point0

En guise de compte-rendu de mon programme personnel de développement personnel, je voudrais poursuivre ma note sur les titres en vous faisant part d’une petite réflexion. Vous avez sans doute constaté que pour engager une conversation avec un inconnu, nous commençons souvent par des banalités.

Entrée en matière typique en soirée :

« Et toi, tu fais quoi dans la vie ? »

Comment peut-on faire connaissance en commençant systématiquement les présentations par cette question qui sous entend une réponse d’ordre professionnel ? Notre vie se résume-t-elle à notre métier ? Ou, pour être plus précis, est-elle réduite au statut social indiqué par la mention sur notre carte de visite ? Car après tout c’est bien ce qu’on s’attend à recevoir en guise de réponse : un titre et puis c’est tout.

Certes je suis le premier à passer les deux tiers de mon temps éveillé au bureau et à faire de mon travail un mode de vie. S’il n’est pas rose tous les jours, je prends beaucoup de plaisir à exercer mon métier et je peux en parler pendant des heures. Je regrette même de ne pas rédiger plus d’articles sur le sujet. Mais est-ce là tout ? Non bien évidemment. Je m’appelle Amaury, j’ai 27 ans, je pratique l’éclectisme avec passion et ce que je fais dans la vie, c’est chercher à lui donner le plus de sens possible. Et si je vous sors ça en guise de présentation vous allez me demander où je veux en venir. Tant mieux ! La conversation n’en sera que plus riche.

Or je me souviens d’une conversation dans un bar avec une petite brune au sourire avenant :

« Et toi, tu fais quoi dans la vie ?
- Je suis consultant… (sourire de la brune)
…dans l’informatique… (moue désapprobatrice)
…auprès d’une banque d’investissement. (grand sourire, à l’époque les banques ça marchait bien)

Inutile de dire que j’aurais gagné beaucoup de temps en présentant tout de suite mon bulletin de salaire (qui vaut bien un grand sourire) et mon relevé de compte (qui l’aurait fait fuir). J’ai donc très vite abandonné la demoiselle et reporté mon attention sur des personnes plus sensibles à ce que j’avais à partager qu’à l’image véhiculée par mes fonctions professionnelles. En vérité, je n’ai que rarement rencontré ceux qui sont devenus mes meilleurs amis sur un échange de cartes de visite, encore moins sur l’expression de mon rang supposé dans la société.

Partant de ce constat, j’ai réalisé une petite expérience ces deux dernières semaines : à chaque fois que j’avais l’occasion de m’adresser à un inconnu, plutôt que lui demander ce qu’il faisait dans la vie, je posais des questions qui me paraissent beaucoup plus fondamentales.

  • Qu’est-ce qui te fait avancer ?
  • De quoi es-tu fier ?
  • Quel but poursuis-tu ?
  • Es-tu heureux ?
  • Que voudrais-tu absolument m’apprendre ?

Les premiers essais n’ont pas été très concluants. Ces questions supposent des réponses beaucoup plus personnelles et tout le monde n’accepte pas d’y répondre. Avant d’obtenir un quelconque résultat, j’ai dû faire quelques efforts et trouver l’attitude qui mettrait mon interlocuteur en confiance. J’ai alors découvert que passée la surprise d’une approche hétérodoxe, les gens se livraient très volontiers à l’exercice ; du moins pour ceux qui parvenaient à répondre. Beaucoup m’ont en effet avoué n’avoir jamais vraiment réfléchi à ces questions. Sans doute ne les leur a-t-on pas posées assez fréquemment.

J’ai ainsi appris énormément de cette expérience, et en très peu de temps. J’ai progressé sensiblement dans ma façon d’aborder des inconnus. J’ai eu des discussions très intéressantes avec la plupart d’entre eux - beaucoup plus en tout cas qu’avec l’approche classique. J’ai découvert des choses suffisamment importantes pour décider que je devais absolument revoir certains d’entre eux et aller plus loin dans l’échange. J’ai noté plein de sujets de réflexion pour occuper les mois d’hiver. Et, en définitive, je suis persuadé d’être ainsi passé pour une personne beaucoup plus intéressante.

Pour ceux qui tiennent absolument à s’assurer de l’activité professionnelle de leur interlocuteur, qu’ils se rassurent : ça vient tout seul dans la conversation et on parle davantage du contenu de l’activité que du nom dont elle est affublée.

Cette expérience menée a grande échelle dans mon environnement immédiat m’a rappelé l’exposition six milliards d’autres de Yann Arthus-Bertrand, Sibylle d'Orgeval et Baptiste Rouget-Luchaire dont le principe, quoique d’envergure beaucoup plus grande, n’est pas très éloigné : parcourir le monde et interviewer ses habitants sur des questions simples mais pleines de sens. Je vous en propose quelques extraits sur le thème « changer sa vie » :

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Enfin, en guise de conclusion sur les limites de nos conversations d'adultes, je vous propose de revoir un peu les classiques en méditant ce texte :

"J'ai de sérieuses raisons de croire que la planète d'où venait le petit prince est l'astéroïde B 612. Cet astéroïde n'a été aperçu qu'une fois au télescope, en 1909, par un astronome turc.

Il avait fait alors une grande démonstration de sa découverte à un Congrès International d'Astronomie. Mais personne ne l'avait cru à cause de son costume. Les grandes personnes sont comme ça. Heureusement pour la réputation de l'astéroïde B 612 un dictateur turc imposa à son peuple, sous peine de mort, de s'habiller à l'Européenne. L'astronome refit sa démonstration en 1920, dans un habit très élégant. Et cette fois-ci tout le monde fut de son avis.

Si je vous ai raconté ces détails sur l'astéroïde B 612 et si je vous ai confié son numéro, c'est à cause des grandes per­sonnes. Les grandes personnes aiment les chiffres. Quand vous leur parlez d'un nouvel ami, elles ne vous questionnent jamais sur l'essentiel. Elles ne vous disent jamais : « Quel est le son de sa voix ? Quels sont les jeux qu'il préfère ? Est-ce qu'il collectionne les papillons ? ». Elles vous demandent : « Quel âge a-t-il ? Combien a-t-il de frères ? Combien pèse-t-il? Combien gagne son père? » Alors seulement elles croient le connaître. Si vous dites aux grandes personnes : « J'ai vu une belle maison en briques roses, avec des géraniums aux fenêtres et des colombes sur le toit... » elles ne parviennent pas à s'imaginer cette maison. Il faut leur dire : « J'ai vu une maison de cent mille francs. » Alors elles s'écrient : « Comme c'est joli ! »

Ainsi, si vous leur dites: « La preuve que le petit prince a existé c'est qu'il était ravissant, qu'il riait, et qu'il voulait un mouton. Quand on veut un mouton, c'est la preuve qu'on existe » elles hausseront les épaules et vous traiteront d'enfant! Mais si vous leur dites : « La planète d'où il venait est l'astéroïde B 612 » alors elles seront convaincues, et elles vous laisseront tranquille avec leurs questions. Elles sont comme ça. Il ne faut pas leur en vouloir. Les enfants doivent être très indulgents envers les grandes personnes.

Mais, bien sûr, nous qui comprenons la vie, nous nous moquons bien des numéros !


Extrait du Petit Prince d'Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944)

Et vous ? Qu’est-ce qui vous fait avancer dans la vie ?"