Ce qu'il y a de commun, entre 2012 et les Herbes folles, c'est l'aura de la narration, le pouvoir illimité de l'histoire racontée. Entre la prophétie maya qui se réalise (2012) et l'anedocte romanesque dite par Edourd Baer (Les Herbes folles, vous l'aviez deviné, mais je précise pour faire symétrique), on pourrait se demander s'il y a vraiment plus qu'une différence d'échelle. Dans les deux cas, il y a une forme de fatalité narrative - de déterminisme - qui vient menacer l'intégrité physique de nos personnages, voire simplement les fracasser. Que ce soit la fin du monde ou la rencontre explosive d'un homme et d'une femme, c'est comme si l'effet d'annonce avait un pouvoir magique. Origine et point de fuite, on ne fait que graviter autour de cette fin dernière qui engouffre tout et tout le monde. D'ailleurs, nous parlions de questions d'échelle: il y a d'étonnants parallèles à faire entre les gouffres qui avalent des villes entière et les sols fissurés dans lesquels poussent les herbes folles - il suffit de prendre un peu de hauteur (en avion, dans les deux cas). Il est quand même assez drôle de constater que l'écrit qui a l'air le plus implacable (l'apocalypse maya) laisse en vie les héros, quand le récit apparemment anecdotique (la voix parfois hésitante d'Edouard Baer) se couronne d'une fin cruelle pour les personnages.
Là où nos deux films prennent des voies opposée, c'est dans la manière dont ces histoires s'écrivent et se mettent en scène. Dans 2012, il y a l'obsession du storytelling, de la petite histoire faite pour en dire long sur la grande. On s'aperçoit par exemple que les débats moraux et les instants fatidiques sont retranscrits sur grand écran. Quand Adrian, le scientifique éclairé, combat pour la démocratisation de l'apocalypse, c'est en visio-conférence avec les puissants de ce monde, embarqués eux aussi. Quand la famille re-recomposée, coincée dans une pièce inondée, sauve l'arche du naufrage, c'est encore tout le monde qui profite du spectacle. Le président, lui, n'a même pas besoin de caméra, tellement son sacrifice rayonne de mille feux (quoique, il y a bien une allocution au peuple, moment démocratique parfait, auquel tout le monde participe en face de sa télé). Bref, il y a tout une série de films dans le films, comme pour faire comprendre avec les moyens du bord qu'on a affaire à l'histoire de l'Histoire. Cela donne aussi un côté amusant et superficiel à la chose: on voit bien qu'en off, notre Adrian national n'a pas l'air si mécontent de se retrouver entre gens de bonne compagnie - le spectacle n'est pas, dans 2012, qu'une affaire de fête foraine.
Autant le film d'Emmerich est aussi attendu - et annoncé - que la fin du monde, énième réécriture de l'ultime catastrophe, autant celui de Resnais est fou, libre, surprenant. Si le narrateur est omnipotent, il laisse pourtant une place aux pensées et idées fixes des personnages - probablement pour mieux les retourner contre elles-même. André Dussolier est excellent de mystère et d'imprévisibilité. Mais c'est surtout la mise en scène qui frappe par sa perpétuelle créativité, son ingéniosité formelle: tous ces moments où l'on perd la notion du temps et de l'espace (par exemple grâce aux effets de bande-son pendant le dîner avec les enfants), comme pour donner une impression de vertige ou d'apesanteur, de même que le sac volé à Sabine Azéma reste un temps en suspens dans les airs. Au fond, cette liberté est très conciliable avec le fatum narratif: c'est justement une déclaration d'amour à la force des choses, un hymne au saut dans le vide. Ne vous inquiétez pas, je n'irai pas jusqu'à dire que Resnais fait au cinéma une profession de foi pascalienne: assez de comparaisons bizarres pour aujourd'hui...