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Affaire NDiaye/Raoult, la confrontation des excès

Publié le 13 novembre 2009 par Savatier

« L’artiste doit-il être tenu à un devoir de réserve ? » Dans l’hypothèse où le ministère de l’Education nationale serait en panne d’imagination pour proposer un sujet du bac cette année, le député Eric Raoult vient de lui en fournir un, qui pourrait donner lieu à d’assez savoureux développements. Qu’écrit-il en substance à Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture, en réaction à un entretien donné par l’écrivain Marie NDiaye aux Inrockuptibles publié le… 30 août 2009, en d’autres termes, largement antérieur à l’obtention du Goncourt :

« Ces propos d’une rare violence sont peu respectueux, voire insultants, à l’égard de ministres de la République et plus encore du chef de l’Etat. Il me semble que le droit d’expression ne peut pas devenir un droit à l’insulte ou au règlement de comptes personnel. Une personnalité qui défend les couleurs littéraires de la France se doit de faire preuve d’un certain respect à l’égard de nos institutions. C’est pourquoi, il me paraît utile de rappeler à ces lauréats le nécessaire devoir de réserve, qui va dans le sens d’une plus grande exemplarité et responsabilité. Il [Eric Raoult] lui [Frédéric Mitterrand] demande donc de lui indiquer sa position sur ce dossier, et ce qu’il compte entreprendre en la matière. »

Passons sur le nébuleux mélange de la première et de la troisième personne du singulier dans le même paragraphe, le parlementaire de Seine-Saint-Denis ne vise pas le Goncourt. Mais le texte surprend, pour le moins. Et inquiète. Un écrivain, même couronné d’un prestigieux prix littéraire, serait-il, es-qualité, assimilé à un fonctionnaire de l’Etat ? Devrait-il renoncer à sa liberté d’expression qui constitue, pour tout dire, la matière première de son métier ? Le fait même de se poser de telles questions met en lumière le caractère ubuesque, grotesque, des propos du député. Confronté à une levée de boucliers très justifiée, il ne parle plus aujourd’hui que de «principe de modération», formule qui ne figurait pas dans sa question écrite au ministre, mais vise toujours à encadrer les opinions des artistes.

J’ai lu l’entretien dans lequel Marie NDiaye confessait que « la France de Sarkozy » était « monstrueuse » et ajoutait : « Nous [son couple et leurs trois enfants] sommes partis [à Berlin] juste après les élections, en grande partie à cause de Sarkozy, même si j’ai bien conscience que dire ça peut paraître snob. » Suivaient quelques mots peu amènes à l’égard d’Eric Besson et Brice Hortefeux, une phrase de Marguerite Duras (« la droite, c’est la mort ») qu’elle disait à juste raison « un peu bête », mais prétendait « aimer » sans pour autant la « reprendre à son compte ». Pourquoi, dès lors, l’avait-elle citée ?

Que le propos de l’écrivain soit confus et excessif est une évidence, la France de 2009 n’a guère à voir avec le Berlin de 1933. A qui fera-t-elle en outre croire qu’elle aurait eu quoi que ce soit à craindre du pouvoir en place ? Qu’il soit également imbécile saute aux yeux : il est aussi bêtement snob de justifier, comme une conséquence des élections présidentielles, un exil doré en Allemagne que de conseiller aux ménagères, à l’instar de l’ex Spice Girl Victoria Beckham dans Gala, d’aller faire leurs emplettes au Japon pour trouver à s’habiller dans de petites tailles (33, 34). Le Japon, mais c’est bien sûr : que n’y avions-nous pas pensé auparavant, pauvres minus habens que nous sommes !

Ajoutant à la confusion, Marie NDiaye avait, au micro de Jean-Pierre Elkabbach, minimisé récemment le contenu de son entretien des Inrock, pour, maintenant, y revenir, persister et signer. Tout cela n’est pas très sérieux et ne mériterait pas que l’on s’y arrête si la liberté d’expression n’était pas concernée. Car dénier à un artiste le droit de livrer librement sa pensée (inepties incluses) relève d’une volonté de censure fort préoccupante. Le public est assez adulte pour se forger une opinion, sans qu’il soit besoin d’invoquer un quelconque devoir de réserve, d’autant plus alarmant qu’Eric Raoult semblait attendre de Frédéric Mitterrand qu’il prît des mesures. Lesquelles, se demandera-t-on ?

Aurait-il fallu instaurer une police de la pensée, promulguer un code de l’artistiquement correct, faire signer à chaque candidat à un prix littéraire un engagement à renoncer à sa libre parole en cas de succès ? Ou bien aurait-il fallu, comme aux temps de l’Eglise toute puissante, instaurer un nihil obstat ou un imprimatur assorti d’un Index ? Nous n’en saurons jamais rien. L’auteur de La Mauvaise vie, si prompt à réagir pour soutenir Roman Polanski, a préféré, cette fois, botter en touche. Comme avec la loi Hadopi, en matière de protection des artistes, les paillettes ont eu plus de chance que la plume.

Il est parfaitement illusoire et contraire à la démocratie d’exiger d’un créateur (ou de tout citoyen) qu’il respecte un devoir de réserve, lequel, est-il besoin de le souligner, n’existe heureusement pas dans notre droit, sauf pour quelques fonctionnaires de l’Etat. Albert Camus, François Mauriac, Antonin Artaud, Jean Genet n’avaient jamais obéi à une quelconque obligation de cet ordre. Et les derniers écrivains soumis à cette injonction furent sans doute ceux qui obtinrent le prix Lénine, lorsque la Russie s’appelait encore l’URSS et que toute déclaration « déviante » d’un intellectuel était sanctionnée d’un séjour au Goulag ou dans la cellule capitonnée d’un hôpital psychiatrique.

Eric Raoult se prétend gaulliste, et il n’y a aucune raison, en l’espèce, de mettre sa parole en doute. Mais cet engagement constitue une raison supplémentaire de lui rappeler qu’un « général de brigade à titre temporaire » quasi inconnu et qui était tenu au devoir de réserve, a, un beau jour de juin 1940, rendu son honneur à la France en jetant ce devoir par-dessus les moulins. Dans sa liberté d’expression était l’exemplarité, là résidait la responsabilité.

Illustrations : “Réserve naturelle” - Chut, photographie - Affiche “Interdiction de penser” - Le Général de Gaulle à la radio. 


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