Dans ce but de suppression de l'armée, ce groupe de pacifistes, fondé le 12 septembre 1982, a lancé le 25 mars 1985 une initiative qui, lors de la votation du 26 novembre 1989, a obtenu 35,6% des voix, il y a tout juste 20 ans, au moment où d'aucuns prétendaient que la fin de l'histoire était arrivée, peu après que le mur de Berlin a chu. Une deuxième initiative, lancée en 1995 par le même groupe, demandant une nouvelle fois l'abolition de l'armée suisse, n'a recueilli que 21,9%. C'était le 2 décembre 2001.
Il est plusieurs moyens d'atteindre l'objectif que s'est fixé le GSsA. L'un de ces moyens, tordu, est de s'attaquer à l'approvisionnement en armes de l'armée suisse. C'est ce que se propose d'obtenir une initiative déposée par le GSsA, le 21 septembre 2007, munie de 109'224 signatures, et sur laquelle le peuple suisse doit se prononcer le 29 novembre prochain.
Cette initiative veut ajouter de longs paragraphes à l'article 107 de la Constitution fédérale (ici), article qui traite des "armes et matériel de guerre".
Cela commence par un voeu pieux qui ne mange pas de pain, puisque cette déclaration d'intentions est générale et se garde bien d'entrer dans les détails de leur mise en oeuvre :
"La Confédération soutient et encourage les efforts internationaux en vue du désarmement et du contrôle des armements".
Une fois ce voeu pieux exprimé, il s'agit d'interdire l'exportation et le transit de matériel de guerre, de biens militaires spéciaux et "de biens immatériels, y compris des technologies essentiels au développement, à la fabrication ou à l'exploitation" du matériel de guerre et des biens militaires spéciaux "sauf s'ils sont accessibles au public ou servent à la recherche scientifique fondamentale".
Dans ce même esprit il s'agit d'interdire "le courtage et le commerce" des biens ci-dessus "lorsque leur destinataire a son siège ou son domicile à l'étranger".
La conséquence de la mise en application immédiate de l'initiative, si elle est acceptée par le peuple suisse et par les cantons, sera que des places de travail, c'est-à-dire des emplois, seront supprimés [l'affiche ci-dessus provient du site des opposants à l'initiative ici]. Leur nombre n'est pas facile à évaluer. Le Conseil fédéral parle de 5'000 places, tandis qu'Economiesuisse (ici) avance le chiffre de 10'000 :
"Car le Conseil fédéral se base sur une étude qui ne prend en compte que les fabricants directement concernés par le matériel de guerre et les biens militaires spécifiques." [Voir article d'Arcinfo.ch ici]
Or les entreprises suisses d'armement produisent des biens qui peuvent être également utilisés à des fins civiles. L'imbrication est bien difficile à démêler.
L'ineffable Jacques Neirynck [voir mon article Jacques Neirynck aime l'eau du robinet, grand bien lui fasse ! ] ironise sur ce chiffre de 10'000, dans une lettre ouverte, publiée dans L'Hebdo de ce jour (ici), à l'adresse de Pascal Gentinetta, le directeur d'Economiesuisse :
"Ce chiffre rond est brandi dès que l'on propose, à une industrie quelconque, une mutation dans sa production afin d'en garantir le bon aloi, c'est-à-dire l'adéquation au marché et la pérennité".
Ce qui prouve une nouvelle fois que ce digne ex-professeur de l'EPFL ne connaît rien à l'économie et notamment au fait que la disparition de débouchés, du fait du Prince, n'engendre pas seulement la disparition de places de travail directement, mais également indirectement et que le chiffre de 10'000 est vraisemblable, sinon exact.
Conscients tout de même que leur initiative va provoquer la disparition d'un grand nombre de places de travail, ses promoteurs ont introduit un nouveau paragraphe dans l'article 197 de la Constitution fédérale, qui traite des "dispositions transitoires". Aux termes de ce texte la Confédération devra soutenir pendant dix ans "les régions et les employés touchés par les interdictions" figurant dans le nouvel article 107.
Le Conseil fédéral a chiffré à 500 millions le coût annuel que devront supporter les contribuables pour satisfaire aux émois de ce groupe de pacifistes. Comme on l'a vu les dégâts pourraient bien être plus importants que cette première estimation, basée sur la disparition de seulement 5'000 places de travail.
Il y a en effet un grand nombre de PME, qui ont des activités mixtes, civile et militaire et qui seront grandement touchées par cette interdiction brutale. 550 seraient menacées. Mais il y a aussi de grandes entreprises. Parmi elles, RUAG, dont le capital est détenu par la Confédération, qui a chiffré à 2'000 le nombre de places de travail qu'elle perdrait sur un effectif total de 7'000 employés et dont le matériel civil représente 46% du chiffre d'affaires.
Les trois autres grands du secteur de l'armement sont des entreprises privées, détenues par des étrangers : MOWAG (800 personnes), filiale de General Dynamics (92'000 personnes); Rheinmetall Air Defence (9'000 personnes), filiale de Rheinmetall AG (20'000 personnes); Swiss Arms, ancien département armement de SIG, qui a été racheté par des investisseurs allemands.
Il va de soi qu'en cas d'acceptation de l'initiative le 29 novembre la tentation sera grande pour ces entreprises de délocaliser ce qu'elles ne seront plus du tout libres de vendre directement à leurs clients étrangers. Ce qui se traduirait pour la Suisse par une perte de savoir-faire et d'indépendance en matière de défense.
Pour mémoire la LFMG, la Loi fédérale sur le matériel de guerre (ici), du 13 décembre 1996, dont le but est de "veiller au respect des obligations internationales et des principes de la politique étrangère de la Suisse, par le contrôle de la fabrication et du transfert de matériel de guerre et de la technologie y relative, tout en permettant le maintien en Suisse d’une capacité industrielle adaptée aux besoins de sa défense", et la LCB, la Loi sur le contrôle des biens, du même 13 décembre 1996(ici), restreignent déjà fortement la liberté des entreprises d'armement en matière d'exportations.
Les initiants du GSsA, tous gens de gauche ou assimilés, qui sont toujours prompts à défendre l'emploi des travailleurs et que gênent ces arguments économiques, les minimisent, en rappelant, comme Jacques Neirynck, que l'industrie suisse d'armement "ne pèse qu'un tiers de pour cent des exportations" du pays.
Aussi sont-ils plus à l'aise en invoquant l'argument moral. Jacques Neirynck, toujours lui, fervent défenseur de l'initiative se risque donc à écrire :
"Ces armes, faites pour tuer, le font: on estime à 6 000 par an les victimes d'armes suisses, en majorité du reste des civils, bombardés au petit bonheur la chance"
Il ne nous dit pas qui est "on", mais ce chiffre arrondi de 6 000, brandi par lui, est du meilleur effet pour troubler la conscience de l'helvète moyen. C'est peut-être du meilleur effet, mais c'est parfaitement hypocrite de la part de ce chrétien patenté. Ce qui, dans son cas, rime fâcheusement avec pharisien.
Car ce bon apôtre, estampillé démocrate-chrétien, représentant le canton de Vaud au Conseil national, sait parfaitement que si les armes suisses tuent autant de gens qu'il le prétend, d'autres fabricants d'armes n'attendent que l'acceptation de l'initiative, qui a ses suffrages, pour les remplacer par des produits de leur cru, qui auront l'insigne mérite de ne pas être "made in Switzerland". Ce qui lui permettra de s'en laver les mains.
Francis Richard
Nous en sommes au
481e jour de privation de liberté pour Max Göldi et Rachid Hamdani, les deux otages suisses en Libye