Journée Téâtrales de Cartage par Khaled TEBOURBI

Publié le 12 novembre 2009 par Buzzmadisson

Comme de ses cinéphiles pendant les Journées cinématographiques, Tunis (re)fleurit déjà de son public des JTC.

Foisonnant public, étonnant public qui donne, à chaque fois, l’impression de surgir de nulle part, qui emplit les artères et les théâtres de la ville, le temps d’une fête, puis s’en retourne fondre dans l’anonymat du quotidien.
Que de fois nous y avons réfléchi et nous ne nous lasserons pas de le faire : ce public avide d’art est-il le même que l’on voit accourir chaque soir vers ses chaumières pour être pile à l’heure du feuilleton? Se peut-il que ce soient les mêmes qui dégustent le grand cinéma et le meilleur du 4e art et qui s’affolent dans le même temps au ratage du moindre épisode d’une novela?
On ne sait ce qu’il conviendra bien en conclure, mais une chose : si tant est que la culture n’effarouche personne en particulier et si elle est manifestement dans les cordes et le goût des larges populations, pourquoi continue-t-on à nous faire croire qu’il n’est de spectacles «crédibles et rentables», qu’il n’est de musiques «dignes du marché» que les spectacles insignifiants et les musiques dissonantes? Pourquoi nous chante-t-on  encore la rengaine des arts dits branchés? Pourquoi, en un mot, classe-t-on définitivement les larges publics dans «la catégorie des consuméristes»? Pourquoi les «nivelle»-t-on?

Une reprise est possible

Nous ne voulons pas nous répéter, mais que faire lorsque l’on ressasse les mêmes choses et que nul ne veut entendre? La vérité nous l’avons soulignée maintes fois : elle est dans l’invasion mercantile des arts.
Antonio Gramsci l’avait en quelque sorte pressenti dans les années 20, quand, du fond des prisons mussoliniennes, il avait attiré l’attention de ses camarades intellectuels sur la «prééminence dialectique» de la culture sur l’économie. Les grandes concentrations  capitalistes saisiront (hélas), les premières, le message (années 80), en dominant petit à petit les grands circuits des spectacles et des loisirs. Les télévisions satellitaires privées exploseront enfin à partir de 90 pour opérer une véritable mutation de la culture populaire, vers le «produit facile», vers le conditionnement des goûts et des besoins.
Dans les pays arabes, le phénomène a atteint d’énormes dimensions. L’offre et la demande d’art s’y sont amplement inversées : ce sont maintenant les gros éditeurs et les gros promoteurs, affairistes de bon aloi, qui décident de la musique, de la télévision, pour tout dire de notre temps de divertissement. Nous ne choisissons plus entièrement nos loisirs, on nous y guide un peu, à notre insu.
Ces parenthèses fugaces, vivaces des JCC ou, mieux, des JTC, démontrent, sans doute, qu’une reprise de conscience reste toujours possible et que l’ancrage culturel des peuples est en vérité plus tenace que la cynique cupidité des négociants.

Khaled TEBOURBI