Cette pièce de Beckett est pleine de signification. Les mots sont vides, dit Winnie, et le sens jaillit pourtant de ses moindres phrases. On y devine sa vie passée, ses sentiments, les objets que le hasard présente à ses yeux, à son oreille. S’il y a de l’absurde là-dedans, il tient à la condition humaine plutôt qu’au langage.
Les paroles de Winnie lui font parcourir le temps de sa vie, alors que ses jambes inertes la clouent en un point de l’espace. La mobilité du regard et celle de la pensée suppléent à celle du corps. Si les mots reviennent et se répètent, c’est à l’image du champ rétréci de sa perception. Par chance, il arrive que les mots d’un journal lu à haute voix donnent un nouvel élan.
Par bonheur, les trésors de la culture, ces “classiques” jamais tout à fait oubliés, transparaissent dans ces tournures du “vieux style” dont Winnie se réjouit et dans ces bribes de poèmes qui reviennent. Lui revient même la thèse paradoxale de ce philosophe qui faisait dépendre les lois naturelles du sujet pensant. Le beau moment, qui voit la pensée se nourrir du langage.
Car les mots disent merveilleusement les problèmes essentiels. Ainsi l’identité de notre personne, aussi difficile à penser qu’à dire : avoir toujours été celui que nous sommes et être si différent de celui que nous étions. Ce jeu étonnant du passé, du présent et de l’imparfait, c’est nous-mêmes. Les mots disent la difficulté de se penser le même malgré les accidents de la vie. Mais leur stabilité permet de se retrouver soi-même.