Les amateurs de mauvais jeux de mots et de bons films d’horreur en avaient rêvé – à moins que ce ne soit plutôt l’inverse… - Kevin Greutert l’a fait.
Voici donc le sixième volet de la série Saw, franchise horrifique prolifique qui déverse chaque année des flots de sang et des kilos de tripes dans vos salles obscures. Aussi obscures que l’intrigue, qui, d’épisode en épisode, devient de plus en plus compliquée, du vrai jus de boudin…
Un petit rappel s’impose : Saw, c’est l’histoire de John Kramer, un homme atteint d’un cancer incurable, qui décide de profiter du peu de temps qui lui reste à vivre pour se venger de tous ceux qui ont gâché sa vie et celle de ses proches. Sa méthode est peu banale. Affublé d’une tête de… porc ( !), il surgit derrière ses victimes et profite de l’effet de surprise pour leur administrer un puissant sédatif. Puis il les emmène dans son repère, un gigantesque hangar désaffecté qu’il a transformé en labyrinthe mortel, afin de les faire participer à des jeux particulièrement retors et sadiques dont l’enjeu n’est ni plus ni moins que leur propre survie.
Car il laisse à ses victimes une faible chance de s’en sortir. Jigsaw, le tueur au puzzle, tel que l’ont surnommé les média, n’est pas qu’un criminel gratuitement sadique mais un moraliste qui veut mettre ses proies face à leurs défauts, leurs fautes, leurs comportements inacceptables et leur faire comprendre le prix de la vie. Ce sont souvent des êtres égoïstes et insensibles, dédaigneux du sort de leurs semblables, ou des faibles, drogués, alcooliques, n’ayant pas conscience de détruire leur vie ou celle de ceux qui les entourent. Bref, pas des gens bons… Il teste leur volonté de survivre en les enfermant dans des pièges ingénieux dont ils ne peuvent sortir vivants qu’au prix d’une automutilation ou de souffrances insoutenables.
Un tel schéma aurait pu être décliné sans fin par les scénaristes si ne s’étaient présentés deux écueils majeurs - deux os, si vous préférez…- Déjà, la nécessité de trouver des nouvelles idées de « twists », ces rebondissements finaux – et finauds – qui faisaient le sel des deux premiers volets. Ensuite, le fait que le personnage principal, en phase terminale de son cancer inopérable, est mort tôt dans la saga, à la fin du troisième opus…
Pour résoudre cette équation et continuer d’engranger les dollars au box-office, les producteurs et les auteurs ont choisi de complexifier l’intrigue à outrance, offrant à Jigsaw des disciples chargés de poursuivre son œuvre après sa mort et se cassant la tête pour raccorder les nouveaux éléments à tout ce qui a été montré dans les films précédents, à coups de longs flashbacks et de façon plus ou moins crédible.
Dans Saw 2, on avait la surprise de découvrir qu’Amanda, la seule victime sortie vivante des jeux du tueur au puzzle, était en fait devenue sa complice. Dans Saw 3, la jeune femme se retrouvait testée par son mentor agonisant, qui lui reprochait de mettre en place des « jeux » dont les participants n’avaient aucune chance de sortir vivants. En refusant de laisser partir la chirurgienne qui a opéré le cerveau du cancéreux, elle échouait et occasionnait sa propre mort, celle du docteur et de sa famille, plus celle de John Kramer lui-même… Un final tordu pour un scénario tarabiscoté.
A partir de Saw 4, on pédale carrément dans la choucroute… Jigsaw et Amanda sont morts mais les meurtres continuent. Malgré le montage haché menu, on comprend que le tueur avait un autre disciple, l’inspecteur de police Hoffman.
Saw 5 est un peu moins confus – c’était nécessaire pour rattraper les aberrations de l’épisode précédent - et prend le temps d’expliquer comment le flic est devenu le complice de Jigsaw, et comment il entend parachever sa vengeance.
Dans Saw 6, Hoffman et l’ex-compagne de Kramer obéissent aux dernières volontés du défunt en mettant en place un ultime jeu mortel. Principale cible, un agent d’assurance peu compréhensif et compatissant, dont la fonction professionnelle est de refuser les remboursements aux clients les plus gravement atteints, au mépris des conséquences, dramatiques. Et c’est parti pour une nouvelle série d’épreuves où cette andouille va comprendre dans la douleur le prix d’une vie et la responsabilité liée à des choix cruciaux… Voilà pour le résumé…
A ce point de la critique, je sais bien que vous vous attendez à ce que sorte le couteau aiguisé par ma plume assassine, et que je découpe en rondelles ce nanar annoncé de longue date. Et pourtant, il faut bien avouer que ce Saw 6 est loin de sentir le pâté. Le niveau est un bon cran au-dessus des trois épisodes précédents, notamment des deux signés par le tâcheron Darren Bouseman. Evidemment, on est quand même loin du chef d’œuvre, car le film est mal joué (Costas Mandylor est toujours aussi inexpressif), assez laid, avec son esthétique sombre-bleutée-vaporeuse, et mal monté (et pour cause, c’est le monteur des épisodes précédents qui est aux commandes de cette sixième partie…) Mais au moins, le rythme est plus posé. On arrive à suivre l’histoire sans se payer une migraine carabinée à la sortie de la salle et, au vu des derniers opus de la série, c’est déjà une nette amélioration.
Autre point positif, si le film commence comme il se doit par une véritable boucherie, au sens propre comme au figuré, il met ensuite un frein au sadisme gratuit et au gore outrancier qui plombaient les volets précédents. Il y a certes pas mal de perversion dans les situations exposées et les scènes horrifiques sont à déconseiller aux âmes sensibles– on est quand même dans un « torture flick »- mais l’hémoglobine ne vient pas noyer la pellicule. Ouf ! Les morceaux de Saw 6 sont secs…
En fait, le scénario, s’affranchissant des sempiternels rebondissements finaux, se recentre sur l’essentiel et sur le côté moralisateur cruel de l’histoire. Et en ces temps de crise économique et sociale, il faut bien admettre que voir ces cochons de banquiers, financiers et agents d’assurance se faire trucider est un exutoire assez amusant… C’est déjà ça…
Parce que pour le reste, on commence vraiment à se lasser des petits jeux inventés par Jigsaw, et de ces innombrables flashbacks qui recyclent les extraits des films précédents pour mieux nous éclairer sur les motivations d’un tueur qui semble avoir plus de cinquante coups d’avance sur ses victimes, ses sales amis (danois ?), les gendarmes (d’Alsace ?) et les pauvres spectateurs idiots (de Savoie ?) que nous sommes. On se fiche pas mal de savoir comment bidule a trahi truc, qui connaît machin qui a connu chose qui a connu le fils du cousin du voisin du chien de John Kramer… Il serait grand temps de passer à autre chose et/ou de conclure une bonne fois pour toute la saga. Et aussi temps d’arrêter les jeux de mots jusqu’à la sortie, l’an prochain, d’un(e) Saw 7 qu’on espère à la bonne pointure...
Moins mauvais qu’on aurait pu le craindre, Saw 6 est tout juste en-dessous de la moyenne, plombé par l’architecture narrative de toute la série, à l’exception du premier volet, le seul vraiment réussi. A défaut d’être un bon film d’horreur, ce thriller à la fois pervers et pépère est à peu près regardable, et facilement oubliable… Pas de quoi partir à l’as-saw des salles de ciné. (promis, c’était le dernier jeu de mot débile de cette critique…)
Note :