"On admettra alors que l'injonction gouvernementale visant à définir des normes identitaires est ce qu'il y a de plus inacceptable pour le savoir des anthropologues. Quelle arrogance, quelle volonté de domination ou quelle stratégie peuvent conduire un gouvernement à vouloir gouverner, aussi, l'identité ? La "définir" (en faisant donc croire qu'elle est définissable) c'est produire des normes identitaires, soit une double violence. Violence pour ceux qu'elle met au défi de s'inclure et de rester "sous contrôle identitaire" au prix d'humiliations culturelles et mémorielles (faisant ainsi violence, par exemple, à la part africaine, antillaise ou maghrébine de l'histoire de France). En ce sens il y a bien un totalitarisme de tout "ministère" de l'identité dans la mesure où la question de l'identité, sa quête ou sa construction se déplacent sans cesse de la sphère la plus sociale et collective à la plus privée et intime. L'emprise totale du contrôle des personnes fonde le totalitarisme des Etats policiers, comme l'enseigne l'histoire du XXesiècle. Sous le couvert d'un "débat" sur ce qui définit l'identité nationale, nous serions ainsi amenés à "subjectiver" l'injonction d'un pouvoir suprême, à cautionner un paradoxe de démocratie totalitaire dont chacun deviendrait coresponsable, faisant de nous les co-auteurs du contrôle identitaire ! Le regard inquisiteur d'un pouvoir identitaire planerait alors, avec notre assentiment, sur la vie et les gestes de chacun. La définition d'une identité nationale provoquera une autre sorte de violence, en direction de ceux qu'elle exclut. Car cette identité normative – dont chacun sait que la mise en œuvre sera (elle l'est déjà) ethno-nationale – a comme toutes les normes pour fonction essentielle de produire des a-normaux et de les exclure, les"reconduire à la frontière"de l'identité. Faire exister"l'étranger"dans nos esprits et dans des politiques xénophobes sera la première vérification empirique d'une identité nationale ainsi fabriquée. Enfermée et appauvrie sur le plan culturel, elle entraînera logiquement avec elle des procédures d'identification et de vérification, c'est-à-dire davantage de police, de murs, d'enfermement."
http://www.lemonde.fr/opinions/article_interactif/2009/11/11/l-identite-nationale-un-debat-multidimensionnel_1265877_3232_2.html