De la poésie
Poésie, art de « faire ». Selon cette définition qui remonte à la
science des Anciens, la Poésie tient sous son influence, par rayons droits ou
obliques, tous les autres arts de l’homme. Faire veut dire : enfanter,
donner l’être, produire ce qui, antérieurement à l’acte, n’était pas. Mais
l’esprit qui formule une réalité aussi fondamentale ne peut s’empêcher de la
contredire, par une nuance opposée ; sans doute parce que, comme l’amour,
la Poésie est soumise à une secrète interdiction. La Poésie, qui est pour les
uns la chose la plus nécessaire, peut être aux yeux de beaucoup la chose la
plus décriée.
La Poésie est rare. Si elle paraît avoir passé, au cours de son histoire, par
tous les rôles et travestissements, ici discours et là ornement, simple
convention de cour ou de salon, c’est que, comme toute acte
« inventeur », elle est rare.
La Poésie est l’expression des hauteurs du langage.
Elle ne repose pas sur un nombre d’éléments sensibles comme la Musique.
Embrassant par l’image, fruit de la mémoire, la totalité du monde virtuel,
l’univers — elle est établie sur le mot,
signe déjà chargé de sens complexe, et touchant une quantité incertaine du
réel.
Univers : l’extérieur comme l’intérieur, la pensée comme la rêverie et
tout l’instinct, hier et demain, ce qui est défini et ce qui ne saurait être
défini.
Pierre Jean Jouve, En Miroir (1954, édition revue en 1970), dans Œuvre, II, édition établie par Jean Starobinski, Mercure de France, 1987, p. 1055-1056.
contribution de Tristan Hordé
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