La Ménagerie de Verre, c’est une façade sombre qui ne paye pas de mine dans une petite rue du XIème, annoncée par un panneau marron dissimulé derrière les branches fatiguées d’un platane de l’avenue Parmentier, et c’est le temple de la danse contemporaine. Vous savez, cet art bizarre qui n’intéresse personne. Pourquoi aller passer deux heures devant une ronde absconse quand on pourrait aller au cinéma voir la fin du monde en mangeant des pop-corns, je vous le demande?! Parce que, en plus de la situation, drôle en elle-même, à savoir se retrouver entre une cinquantaine de personnes présentes moitié pour le spectacle, moitié pour les mondanités, il est toujours intéressant de voir ce qu’est l’art de son temps, surtout dans une discipline mal connue.
Mais cette incarnation de l’éternel retour est douloureuse : peu à peu les danseuses suent, halètent, deux ou trois ratent un mouvement, une autre manque de tomber… Ce défilé militaire, martelé par une musique lancinante et comme bloquée sur elle-même (le même rythme scande toute la première heure), mêlé à de la pole dance m’a mise très mal à l’aise. L’effort et la concentration terriblement intenses de ces jeunes corps étaient si manifestes qu’ils en devenaient dérangeants – en tout cas pour moi et pour les deux femmes à qui j’ai pu parler à la fin de la représentation, les hommes n’ayant manifestement pas ressenti une once d’empathie pour elles… Les danseuses deviennent mécaniques, désincarnées ; elles entrent en fusion dans une chorégraphie martiale et difficile, à tel point que la moindre erreur paraît disproportionnée – et entraîne d’odieux ricanements dans l’assistance. Les visages sont d’une inexpressivité forcée, quasi-maladive, et les mouvements automatiques, presque figés. L’ensemble est assez oppressant, lorsqu’on se donne la peine d’entrer dans le spectacle – ce qui n’est pas de la tarte, je le concède bien volontiers.
Crédit photo : Martin Argyroglo.
On peut reprocher au chorégraphe de ne pas avoir mis en question le rythme musical et gestuel, ou de progressievemnt faire surgir des mouvements classiques au sein d’une danse qui se voudrait révolutionnaire. Ou encore d’avoir placé les spectateurs dans une position frontale franchement conventionnelle, alors que les disposer tout autour de la scène aurait peut-être eu plus d’impact, ou aurait en tout cas refermé le cercle. Mais, quand on a la force de tenir deux heures et quart et de se laisser emporter par la ronde infernale des quinze danseuses, on n’en sort pas tout à fait pareil.