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"IL y a des jours où les mots s'éteignent dans votre bouche avant d'avoir vu la lumière. Vos tripes se nouent; de l'abîme de votre coeur, l'écho d'une souffrance ancienne vous fait murmurer en vous même: "elle m'abandonne...j'avais encore besoin d'elle".
Moi, Harry, avant de la connaître, je ne savais même pas que j'avais besoin des autres. Avec elle, j'ai découvert qu'aimer et se laisser aimer, donner et accepter de recevoir, aidait à grandir, et que regretter le passé c'est courir après le vent.
Quand je l'ai connue, j'étais devenu un phénomène.
Ma mère disait déjà cela de moi quand j'étais petit. On me l'a raconté, c'était il y a longtemps! Un phénomène de foire, qu'ils disaient avant mes éducs, parce que je faisais la foire. Maintenant y disent que je fous le bordel, qu'ils n'ont pas que moi à s'occuper, que le groupe est trop hétérogène, qu'y a pas le projet qu'il faut...
Mon dossier prend de plus en plus des allures de casier judiciaire. Ma mère avait raison, je suis méchant, le pire de tous sans aucun doute, sinon elle m'aurait aimé un peu, elle ne m'aurait pas abandonné. Moi au début, ce que je n'arrivais pas à comprendre, c'est qu'elle a fait d'autres enfants dont elle s'occupe, personne ne les lui a enlevés. En fait, c'est normal, elle y est pour rien, c'est moi...
Ma vie, Madame Lazeux s'en est emparée, moi je n'ai plus de pouvoir sur ma vie. Je suis devenu un récit, un bout de génogramme. Mes éducs ils disent qu'ils lisent dans mes yeux que j'en veux à la terre entière et que ce qu'il me faudrait c'est un projet; un projet avec des objectifs évaluables, opérationnels... de préférence ailleurs que chez eux!
Moi, je butte pour exister, pour me sentir vivant, peu m'importe, les reproches, les punitions, on s'occupe de moi, j'existe...
Je continue à sourire quoiqu'il arrive et on me dit que ça énerve, que je suis fou, qu'il faudrait m'interner, que mon cas n'est plus tellement social mais psychiatrique...Moi, je suis un peu étonné de ces propos tenus par mes éducs qui reviennent d'un stage sur les bonnes pratiques et la bienveillance; mais bon, je leur ai dit en souriant pour pas les vexer mais ça n'a pas marché; ils m'ont dit " dégage avant qu'on fasse un malheur".
C'est plus tard que j'ai fait sa connaissance. C'était juste une thérapeute, quelqu'un qui a accepté de prendre soin de moi. ça a pris du temps. Je n'étais qu'un cri, quelqu'un qui se donne à voir et qui remet en scène, sans cesse son inaptitude à être aimé, à aimer.
Brigitte, elle m'a aidé à retrouver le chemin des mots. Un jour, que je n'oublierais jamais, elle m'a dit que j'étais "quelqu'un de bon" , ça ne m'était jamais arrivé!
Brigitte de Tournai, celle qui avait su trouver les mots pour parler à mon âme, s'en est allée.
Ceux qui l'ont connue, diront que ça fait déjà quelques temps, neuf mois, le temps de faire un enfant, le temps pour Harry d'accoucher des mots pour lui dire merci et adieu." -harry-
-retrouver le chemin des mots-rebonds-Le Lien Social- n°948-
photos: Patrick L.