La dernière semaine de la paix passa, les ordres de mobilisation générale traversaient l'Europe comme des éclairs, les derniers télégrammes diplomatiques filaient vers le ciel. Ces chocs ébranlaient à peine la sérénité de la ville. Le nombre des hommes angoissés avait légèrement augmenté : Antoine Bloyé était enfin parmi eux. Il y avait déjà dans le monde des chemins de fer un certain remue-ménage, une certaine rumeur de préparatifs sensible à un homme aussi familier que lui avec l'air de sa Compagnie. Des instructions commençaient à descendre des grands bureaux. Il sut que la guerre était complètement montée, comme une grande machine ; il n'y avait plus qu'à donner le contact pour qu'elle tournât...
Antoine était un homme qui n'avait pas d'idées politiques, c'était simplement un homme qui voulait continuer à faire en paix le travail qu'il savait faire, et il se tournait vers ses ouvriers comme vers la seule force capable de protéger sa propre vie, sa propre paix. Il y avait des millions d'hommes en France semblables à lui, mais qui ignoraient comme lui pourquoi se forment les guerres.
Paul Nizan Antoine Bloyé Les Cahiers Rouges chez Grasset