La Constitution du 4 octobre 1958, celle qui a instauré notre Ve République, en son article 24, dispose:
Titre IV Le Parlement
Article 24
Le Parlement vote la loi. Il contrôle l'action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques.
Il comprend l'Assemblée nationale et le Sénat.
Les députés à l'Assemblée nationale, dont le nombre ne peut excéder cinq cent soixante-dix-sept, sont élus au suffrage direct.
Le Sénat, dont le nombre de membres ne peut excéder trois cent quarante-huit, est élu au suffrage indirect. Il assure la représentation des collectivités territoriales de la République.
Les Français établis hors de France sont représentés à l'Assemblée nationale et au Sénat.
Mais pourquoi avoir donc institué une deuxième Chambre?
En droit constitutionnel, le principe de l'existence de deux Chambres au sein du Parlement se dénomme bicaméralisme ou bicamérisme:
"Ce système a pour but de modérer l'action de la Chambre basse, élue au suffrage direct et représentant donc directement le peuple, en soumettant toutes ses décisions à l'examen de la Chambre haute, élue généralement au suffrage indirect et représentant souvent des départements, des régions ou des états, et qui est souvent plus conservatrice."
Dès lors, le bicamérisme hérité de la Boulê athénienne avait été instauré originairment pour pondérer le pouvoir d'une Chambre de représentants notamment lorsque la base électorale sur laquelle est assise une telle chambre est constituée d'une partie homogène d'électeurs aux intérêts similaires (bourgeoisie, aristocratie, ouvriers,...).Ainsi, au Royaume-Uni, la création d'une Chambre basse était venue pondérer le pouvoir que s'étaient arrogé la Chambre des Lors au fil du temps en soumettant à son autorité la levée de l'impôt, le nerf de la guerre sans lequel il n'était nul souverain.
Dans les systèmes fédéraux tels que la Confédération Helvétique ou les Etats-Unis d'Amérique, deux raisons principales ont motivé l'instauration du bicaméralisme: d'un côté, il était question de maintenir une certaine unité de l'Etat en privilégiant sa représentation face à un peuple soupçonné d'être hostile culturellement à l'existence même d'un pouvoir central.
Ainsi, l'intérêt du peuple est tempéré par l'intérêt de l'Etat.
De l'autre, il s'agissait de s'assurer que les Etats ou Cantons plus peuplés n'exercent une domination de fait sur ceux moins peuplés en donnant un nombre identique de représentants à la Chambre Haute par division, indépendamment du nombre d'habitants.
En France, le bicaméralisme avait été adopté sur le même principe de contre-pouvoirs et de contrôle de l'un sur l'autre afin de modérer les excès de la Révolution Française.
Mais aujourd'hui, qu'en est-il?
Les raisons qui avaient justifié l'instauration du Sénat ont désormais disparues pour la plupart.
En outre, il est admis que le Sénat est structurellement conservateur, donc de droite par le jeu du mode de scrutin au suffrage universel indirect. Or, sa légimité à se poser en témpérament d'une Assemblée Nationale qui serait majoritairement de gauche est discutable. Ainsi, dans la pratique, le Sénat ne s'oppose que très peu à la Chambre basse.
En ce qui concerne l'intérêt de maintenir une représentation des collectivités territoriales, condition principale mentionnée dans le corps même de la Constitution, en l'état actuel de l'organisation administrative, les collectivités territoriales ne sont ni justement défendues par le Sénat, ni suffisamment puissantes pour justifier qu'on leur reconnût une telle importance.
Or, la question de la décentralisation et de la suppression du département devrait aboutir sur la réforme du mode de scrutin aux élections sénatoriales afin d'asseoir le vote sur la région qui devrait être la grande gagnante des futures réformes annoncées.
Autre élément, l'Etat Français ne brille pas particulièrement par sa fragilité, l'intérêt et l'unité de l'Etat ne sont point menacés par la puissance d'une chambre de députés représentant le peuple. La France n'est pas l'Allemagne ou la Suisse.
En outre, malgré les réformes constitutionnelles récentes, le Parlement dans son ensemble reste absolument soumis dans les faits à la puissance de l'exécutif:
Le Président de la République chef de la majorité, n'est plus au-dessus des querelles politiques comme l'usage le dictait.
Il a par ailleurs désormais le droit de s'exprimer devant le Parlement réuni en Congrès sans que ce dernier ne puisse lui répondre directement, ce qui accentue le symbolisme de son autorité. 90% des lois sont des projets de loi, ce qui n'a rien d'étonnant dans la mesure où le gouvernement dispose de l'arsenal constitutionnel nécessaire pour forcer la décision.
Quant au rôle de pondération, dans l'esprit d'un conseil de sages, celui-ci est dévolu au Conseil Constitutionnel chargé notamment du contrôle des lois et de leur conformité au bloc constitutionnel.
Il n'est ainsi par étonnant que l'image de la Chambre Haute soit celle d'une retraite dorée pour politiciens en fin de carrière. Dans la mesure où la professionnalisation de la politique n'est pas acceptable, c'est un argument supplémentaire militant pour sa suppression.
Tout n'est certes pas à jeter. On peut notamment reconnaître la qualité des travaux parlementaires du Sénat, ainsi que celle des Commissions mais le fait même que son activité visible soit réduite à cela n'est finalement pas un argument prompt à lui rendre service en ce qu'on aura vite fait l'analogie de ces travaux aux mots-croisés force 5 de Pépé René.
Ca a beau être d'une grande qualité, ça ressemble fortement à un effort de maintenir un peu de stimulation intellectuelle à un âge avancé...
On peut toutefois nuancer la critique à l'endroit du Sénat en relevant que la faiblesse de sa valeur actuelle n'est que la conséquence de l'effacement du rôle du Parlement dans son ensemble. Un deuxième chambre dont la base électorale serait en revanche modifiée afin d'éviter son inscription permanente à droite, pourrait se révéler fort stabilisante face à une Assemblée Nationale élue avec une dose de proportionnelle.
Mais pour ce faire, il conviendrait au préalable de restaurer l'équilibre des pouvoirs et le respect de la séparation des ordres législatifs et exécutifs, en permettant à un Parlement plus représentatif de mettre en jeu la responsabilité politique du chef de l'exécutif devenu monocéphal.
Nous en sommes bien loin.