Magazine Culture
Elles ont laissé des traces encore perceptibles au coeur des paysages du Nord et de l'Est de la France: des ondulations dans les champs, une route qui serpente, un crêt qui s'est émoussé.... Elles ont laissé des blessures telles que certains hommes n'avaient plus visage humain, que certains hommes en ont été bouleversés au plus profond d'eux-mêmes.
Cette année, je ne serai pas à la cérémonie commémorative (elle commence dans 5 minutes et je suis toujours en pyjama); cependant, je ne peux m'empêcher de penser à toutes ses vies perdues, hâchées, gâchées par un terrible rouleau compresseur: l'instinct mortifère des peuples qui inscrivent leur histoire dans le sang et la boue.
Les tranchées ont changé la vie des femmes: elles ont pris leur part de labeur tant en ville qu'à la campagne....elles se sont affranchies d'un joug qui mettra une bonne génération à leur offrir un droit longtemps bafoué: le droit de vote et leur autonomie vis à vis du Pater Familias....mettre un bulletin de vote dans l'urne et pouvoir s'affranchir et s'émanciper de l'autorisation maritale pour ouvrir un compte en banque et être autre chose qu'une mineure aux yeux de la loi.
La littérature s'est emparée, bien vite, de cette tragique boucherie: qui n'a pas lu "Les croix de bois" de Roland Dorgelès ou "Le feu" d'Henri Barbusse, sans connaître le frisson du cauchemar vécu par ces hommes brisés au fond de leurs trous suintant d'humidité et de peur!?
Les auteurs contemporains ont été également inspirés par cette période si particulière: "Sang noir" de Louis Guilloux, "A l'ouest rien de nouveau" de E.M Remarque (lu il y a fort longtemps et qui mériterait une relecture), "Orages d'acier" de Ernst Jünger, "Dans la guerre" d'Alice Ferney, "La chambre des officiers" de Marc Dugain, "Les âmes grises" de Philippe Claudel et plus récemment "L'homme barbelé" de Béatrice Fontanel.
Chacun, à leur façon selon leur vécu, leur sensibilité ou leur regard, mis en mots et/ou en images les miasmes, le sordide, le cauchemar quotidien, la peur, la terreur qui liquéfie celui qui part à l'assaut, la longueur interminable des minutes, des heures et des jours lorsque l'on est dans une tranchée, couvert de boue et de vermine....des mots qui secouent, qui émeuvent, qui terrassent et qui parviennent à dire le non-dit ou d'indicible.
Des hommages romanesques pour ces êtres qui ont tous perdu une part d'eux-mêmes, quand ce ne fut pas leur vie, dans ce conflit qui modernisa les manières de tuer son prochain à grande échelle!
Depuis l'an dernier, il n'y a plus de poilu pour témoigner de l'horreur....alors n'oublions pas, pour eux mais aussi pour ceux qui nous succéderont.
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