De l'amour au XVIIIe siècle

Par Mtc


On pourrait croire le siècle des lumières celui des Liaisons dangereuses, des amours tumultueuses et nombreuses. Il est avant tout celui de la recherche de l’amour. Amour fidèle, unique, constant, qui unit les sens et les sentiments. Mais ce n’est pas un amour matrimonial, c’est une quête nouvelle du bonheur, d’une deuxième chance en dehors du mariage qui, lui a d’autres fonctions, non remises en cause. Après un mariage de convenances, et la procréation de peu, prou ou nombre d’enfants, quelques personnes de la haute société ont mené une vie heureuse avec un amant ou une maîtresse, eux-mêmes mariés, et à créer ou recréer une vie conjugale et amoureuse. « C’était le dix-huitième siècle expiré et marié à sa manière. Il suffit de tenir bon dans la vie, pour que les illégitimités deviennent des légitimités . On se sent une estime infinie pour l’immoralité, parce qu’elle n’a pas cessé de l’être, et que le temps l’a décorée de rides. » écrit Chateaubriand dans les Mémoires d‘Outre-Tombe.
Ce siècle nous en montre de nombreux exemples comme Mme d’Houdetot et Saint-Lambert, Mme d’Epinay et Grimm, le duc d’Orléans et Mme de Montesson, et les plus célèbres d’entre eux, le chevalier de Boufflers et la comtesse de Sabran. Et pourtant, elle était veuve, il était célibataire, étant chevalier de Malte, mais les convenances, les intérêts de fortune et de famille n’autorisaient pas ce mariage qui ne put se faire qu’après la Révolution où ils sont devenus pour la société l’image vivante de Philémon et Baucis comme l’écrit Madame de Chastenay, dans ses Mémoires - qui viennent de reparaître en texte intégral dans la même Bibliothèque d’Evelyne Lever - « Ils étaient tous les deux d’une simplicité romantique » ajoute-t-elle.
Avec la publication du premier volume de leur correspondance, nous vivons les débuts de cette histoire amoureuse, fort bien commentée et annotée par Sue Carrell, spécialiste américaine de la littérature française : en mai 1777 le prince de Ligne présenta le chevalier de Boufflers, cadet d’une grande famille picarde, sans fortune, colonel du régiment de Chartres-infanterie, homme d’esprit peu goûté de la cour à cause de ses vers et de sa liberté de parole, à une jolie brune piquante, la comtesse de Sabran dont les traits ont été immortalisés par Mme Vigée-Lebrun. Eléonore de Jean de Manville, héritière d’un riche trésorier général de France avait épousé à 19 ans en 1766, un vieil amiral de cour, le comte de Sabran, d’une famille provençale très illustre mais très gueuse. Le mariage de la poire et de la soif selon un formule courante de l’Ancien régime. En échange de sa dot, la nouvelle épouse fut reçue aux honneurs de la cour où sa beauté et son esprit en firent vite une jeune femme à la mode. Veuve avec deux enfants dès 1775, elle acheta un des plus jolis hôtels de Paris, rue du Faubourg-St Honoré et mit son honneur et sa vertu sous la protection de Mgr de Sabran évêque de Laon. Sa vertu était grande et c’est par une amitié fraternelle que commence cette correspondance mais qui ne trompe personne. On les sent qui s’aiment malgré les mots «ma sœur» et «mon frère» ! Il faut attendre mai 1781 pour une première nuit ensemble dans le ravissant lit bleu de la comtesse. La vraie correspondance amoureuse peut alors commencer, avec ses crises de jalousie, ses caprices, ses raccommodements et ce premier volume s’arrête au moment ou le chevalier de Boufflers désireux d’acquérir un peu de gloire est nommé gouverneur du Sénégal en 1785. Deux autres volumes suivront l’année prochaine qui seront, comme le premier, remplis d’inédits et de détails qui nous éloignent des Liaisons dangereuses : « Adieu, amie; écrit le chevalier en 1784, adieu, amour, adieu, ange, archange ; adieu, douce domination dont mon cœur et ma raison même ne se défendront jamais ».
La comtesse de Sabran et le chevalier de Boufflers, Le lit bleu, correspondance 1777-1785, édition établie et présentée par Sue Carrell, Tallandier, 22 euros.
Victorine de Chastenay, Deux révolutions pour une seule vie : Mémoires 1771-1855, édités par Raymond Trousson, Tallandier, 32 Euros.